Le 17 novembre 1980, le conseil municipal désigne une rue du nom de Conrad-Gugy.
Bien que la consonance de ce nom en ait fait grimacer plus d'un, Yamachiche se devait d'honorer ce personnage exceptionnel.
À la bataille des Plaines d'Abraham, le 13 septembre 1759, il y avait Montcalm et, du côté des britanniques, Wolfe et un jeune lieutenant de la 60e infanterie du Royal American, Conrad Gugy. Après cette défaite française, ce sera la capitulation de la Nouvelle-France scellée en 1763 par le traité de Paris.
Le pouvoir passait de la France à l'Angleterre, ce sera le début du régime anglais.
Le district de Trois-Rivières eût en octobre 1763 le gouverneur Frederick Haldimand qui prit comme secrétaire un jeune homme qui parlait aussi bien le français (son père était officier suisse dans l'armée hollandaise) que l'anglais (il était dans l'armée britannique): Conrad Gugy qu'il nomma membre du conseil législatif.
L'année suivante, en 1764, Gugy résigne de son poste de secrétaire puisqu'il a la chance d'acquérir de Louis Boucher de Grand Pré (occupé à combattre en Louisiane pour la France) les seigneuries de Grandpré et de Grosbois Ouest.
Une première seigneurie canadienne passait à un homme entièrement dédié à l'Angleterre et ce sera celle d'Yamachiche!!!
Conrad Gugy s'établit aussitôt à Yamachiche, au sud de la Petite Rivière Yamachiche, près du Pont Gélinas, à son côté ouest.
Ce sera le Domaine qui comprendra le manoir (1764) et le moulin (1772).
Ce sera la prospérité pour Grosbois Ouest, les secteurs des Petites-Terres, du Village des Caron, du Village de la Mission et de la route de la Chicane verront leurs terres mises en valeur.
En 1771, Conrad Gugy acheta 3 autres seigneuries:
- Dumontier, ce qui correspond à Saint-Sévère;
- Frédérick, en haut de Pointe-du-Lac, dans le secteur des Forges;
- Rivière-du-Loup, ce qui correspond à une partie de St-Léon-le-Grand.
Avec ses 5 seigneuries, Conrad Gugy était un seigneur puissant mais sa fidélité à la Couronne britannique, lui qui était entouré de Canadiens-français, lui créait des ennemis, d'autant plus que dans notre région la majorité des citoyens était bien sympathique à la cause de ces américains qui voulaient se dissocier de l'Angleterre.
On arrêta même et on emprisonna des habitants sympathisants à la cause américaine en les accusant de crime de haute trahison, mais on dut se résigner aux cas extrêmes car on en vint à manquer de places dans les prisons.
Situons les événements de l'époque:
1756-1763 C'est la guerre de Sept ans aux États-Unis. Les colons américains aident les Anglais à chasser les Français du Canada.
1774 C'est l'Acte de Québec, l'Angleterre permet aux Canadiens-français de vivre selon leurs institutions.
1775 Le 13 novembre, les troupes américaines prennent possession de Montréal et l'intimidation règne devant ces soldats peu scrupuleux mais les Américains se retireront en mai 1776 après avoir tenté en vain de prendre Québec.
1776 Les colons américains contestent les politiques britanniques et reçoivent l'appui militaire de... la France. Le 4 juillet, ce sera la proclamation de l'indépendance des États-Unis.
Des contingents...allemands!!! s'établissent à Yamachiche afin de prêter main forte aux troupes anglaises et obliger les Canadiens-français à faire partie des milices. Les soldats allemands étaient logés à raison de 3 et même 4 par famille, celles-ci n'avaient pas d'autres choix que de les loger et les nourrir, une situation qui était source de tension et un choc culturel autant pour les Allemands, très disciplinés, que pour les Canadiens-français qui ne voulaient rien savoir des autorités en place. Il en résultat même un grand nombre de désertions d'allemands qui ne tardèrent pas, au contact des habitants, à prendre position pour ces derniers.
Ses premiers démêlés politiques débutèrent en 1775. Conrad Gugy est arrêté par la milice américaine et comparaît pour avoir menacé du fouet des Canadiens-français partisans de la cause américaine. Mais Conrad Gugy était un ami du commandant des troupes américaines, le colonel James Livingstone, qui le relâcha et lui émit même un sauf-conduit. En effet, Conrad Gugy et le colonel Livingston se connaissaient puisqu'ils avaient été associés pour vendre du foin, du grain et d'autres céréales qu'ils transportaient par bateau en destination des États-Unis.
En 1776, des Américains viendront même incendier des bâtiments sur ses seigneuries.
Aux États-Unis également les sentiments sont partagés: il y a les colons américains qui veulent s'affranchir de l'Angleterre mais il y a également des colons qui restent fidèles à l'Angleterre: on les appelle les Loyalistes et en 1778, devant le grand nombre de Loyalistes qui veulent s'installer au Canada, Conrad Gugy se rend visiter son ancien patron Haldimand, devenu Gouverneur du Canada.
Il convainc Haldimand de débloquer des fonds et de lui attribuer des pouvoirs afin de donner une terre d'accueil à ces Loyalistes et surtout, obtenir les pouvoirs nécessaires pour les gouverner.
Haldimand qui représentait la Couronne britannique avait à coeur ces irréductibles Loyalistes qui aimaient tant leur mère patrie et trouva l'idée de Conrad Gugy fort géniale. Ce dernier s'en vit soulager car il lui était difficile d'expliquer à son gouverneur comment il avait pu s'en tirer aussi facilement face aux rebelles américains et surtout, comment Livingstone avait pu accepter de lui donner son fameux sauf-conduit...
Une grande corvée met à contribution les habitants de 5 paroisses et dans un seul mois, on bâtit une douzaine de maisons pouvant loger pas moins de 240 personnes, Conrad Gugy fait construire 9 autres maisons et une école en 1779, accueillant finalement 440 Loyalistes.
J'emploie le terme maison mais il s'agissait de véritables casernes, toutes situées près du Domaine de Conrad Gugy.
Le premier contingent de réfugiés Loyalistes arrivé à Yamachiche à l'automne 1778 comptait 110 enfants, 47 femmes et 32 hommes. On leur affectera un instituteur, Isäac Case, un privilège que les gens d'Yamachiche n'avaient même pas.
Les Acadiens arrivèrent à Yamachiche en 1767, les Loyalistes arrivèrent en 1778. Les Acadiens ont été déportés pour leur attachement à la France, les Loyalistes ont dû s'exiler pour leur attachement à l'Angleterre. Il y avait, vous le devinez, de ces gens qui détestaient les Américains alors que d'autres prenaient le parti des Américains. Ajoutez à cette marmite bouillante quelques soldats de culture allemande: décidément, Conrad Gugy avait de la poigne pour faire voisiner tout ce beau monde avec les Canadiens-français bien que ceux-ci, pour la plupart producteurs agricoles, voyaient s'installer un prodigieux marché pour acheter les produits de leur ferme.
Le conflit entre le Canada et les États-Unis prendra fin en 1783 avec le Traité de Versailles mais à Yamachiche, le mélange de Canadiens-français toujours sympathiques à la cause des colons américains (contre l'Angleterre) et des Loyalistes (pour l'Angleterre) fait des flammèches, vous vous en doutez bien.
Les Loyalistes étaient considérés comme des paresseux et on les déporta en mai 1784 dans la Baie des Chaleurs et à Cataraquoui en Ontario sur des terres réservées jusqu'alors aux Indiens, le colonel Mathiews, chargé de la déportation, écrivait même à Conrad Gugy:
Autres temps, autres moeurs : en 1755 (Acadiens) et en 1784 (Loyalistes), ce sont des militaires qui déportaient les gens , en 1999 ce sont les fonctionnaires de la Santé et des services sociaux qui déportent les personnes âgées.
En 1783, Conrad Gugy montrera ses véritables ambitions: il louera rien de moins que les Forges du Saint-Maurice pour une période de 16 ans.
Conrad Gugy est mort comme il a vécu. Homme d'honneur, frustré dans son orgueil d'avoir perdu un procès suite à une affaire où il avait soutenu la Couronne britannique, on le retrouva immobile sur son fauteuil, la trop grande émotion et ce sentiment d'être puni pour une cause juste, ayant eus raison de son coeur, le 10 avril 1786.
J'espère avoir réussi à vous convaincre des qualités de cet homme extraordinaire et de l'importance de ses actions pour Yamachiche.
En 1842, Charles Bettez fit l'acquisition du manoir et le fit transporter à l'emplacement actuel du bureau de poste. L'ancien manoir abritera une auberge-hôtel pendant plus de 100 ans.
Paul Desaulniers
Pour voir la carte cliquez ici
____________