Le Nouvelliste 16 octobre 1999

 

Le député de Saint-Maurice

Francois Roy
(collaboration spéciale)

Devinette: quel grand personnage public sort de sa retraite, à 61 ans, pour se faire élire député de Saint-Maurice? Réponse: Louis-Joseph Papineau, en 1848.

Eh oui! Le chef patriote était disparu depuis les troubles de 1837 alors que le gouvernement britannique avait mis sa tête à prix (d'où l'expression « la tête à Papineau »).

Revenu au pays en 1845, il se dit prêt à reprendre du service en politique et ce sont les électeurs de Saint-Maurice qui vont lui en donner l'occasion.

En 1848, il devient leur député et prononce son premier discours lors d'une grande assemblée publique, le 6 juin, dans le chef-lieu du comté, Yamachiche.

D'entrée de jeu, il vante son nouveau comté «l'un des meilleurs et des plus importants du pays», tant au point de vue «de l'industrie, du commerce, de l'agriculture et du patriotisme.»


Louis-Joseph Papineau

C'est vrai: Yamachiche est un village patriotique et l'un de ses fils s'est même rendu célèbre, quelques années plus tôt, en composant une complainte inspirée par l'exil des patriotes. L'auteur s'appelle Antoine Gérin-Lajoie et sa chanson: «Un canadien errant ».

Yamachiche est aussi un village bien placé, au bord du fleuve, pour mesurer l'activité économique du Canada, depuis l'union de 1840. On voit passer de plus en plus de navires parce que le gouvernement investit beaucoup pour ouvrir des voies de communication entre la région des Grands Lacs et l'Atlantique.

Papineau dénonce cette situation: « L'argent qu'on nous enlève est employé à ouvrir des canaux, à faire des chemins qui servent à transporter plus facilement leurs produits vers nos ports ». Bref d'après l'orateur, c'est le Canada- Est (c'est-à-dire le Québec ) qui paye pour le développement du Canada-Ouest (c'est-à-dire l'Ontario).

Papineau en a aussi contre les moeurs électorales. Ainsi, il oppose la bonne petite ville de Trois-Rivières au « bourg pourri de Sherbrooke ». À l'époque, un bourg pourri (ou « rotten borough »), c'est une ville qui envoie un député au Parlement, même si le nombre de ses électeurs ne le justifie pas. Importé d'Angleterre, ce vieux truc antidémocratique permet au gouvernement d'avoir un député anglophone de plus.

Autre reproche de Papineau: trop de gens de la ville et trop d'avocats siègent au Parlement. Ainsi, le Canada-Est compte alors une population à 90 % rurale mais ses élus sont à 90 % des urbains! Papineau sait ce qu'il dit: lui-même est un avocat de Montréal.

Mais les gens l'aiment et lui font confiance. Au moment où il accuse les ministres de dormir, une voix s'élève dans la foule: « S'ils dorment, j'cré que pépé va bientôt les avoir réveillés, lui; j'cré qu'y vont faire un saut quand y va leur tomber dessus! ».

Voici donc le « pépé » prêt à se lancer dans ce qui sera l'un de ses derniers combats.

Les gens du comté de Saint-Maurice semblent bien fiers de leur choix: pour le prix d'un député ordinaire, ils viennent de s'offrir « la tête à Papineau »!

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