Le Nouvelliste 30 mars 2013

CHAMP LIBRE

Requiem pour une saine glycémie

Le chef Jean-Pierre Clavet concocte ses mets traditionnels sur son non moins traditionnel mais imposant poêle à bois.

ÉMILIE O'CONNOR

 

 

FRANÇOIS HOUDE

 

(Yamachiche) Ne pas faire maigre et jeûne le Vendredi saint est un péché, soit. Mais manger à la cabane à sucre un Vendredi saint, est-ce passible d'excommunication? Il me faudra en discuter avec le pape lors de notre prochaine réunion mensuelle des François célèbres.


Avec Marc Ouellet, je n'aurais pas donné cher de mon dossier mais j'ai confiance en François 1er. Il devrait être sensible à mon argument massue: je suis allé à la seule cabane à sucre certifiée biologique au Québec: la ferme Le Crépuscule, à Yamachiche. Si ça, ça ne me vaut pas une indulgence, bien, j'irai en enfer cuire dans une marmite d'eau d'érable bouillante, voilà tout.

Il faut vivre avec son temps mais si même la cabane à sucre est devenue bio, c'est qu'on vit une révolution alimentaire abyssale. Le Crépuscule est à l'avant-garde du mouvement mais en assume les contradictions en conservant le côté rétro de rigueur: on y cuit le repas sur un énorme poêle à bois de chantier du début du XXe siècle.

Le menu est lui aussi tout ce qu'il y a de traditionnel: soupe aux pois, jambon, oeufs dans le sirop, crêpes, bacon (de poulet!?!), oreilles de crisse, saucisses. Seulement, si je vous dis que les oreilles de crisse sont certifiées sans otite, que les saucisses sont élevées en liberté, que les animaux sont des diplômés universitaires en science de l'environnement et que les gouttes d'eau d'érable font des «ploc!» harmonisés sur une chanson de la Bottine souriante en tombant dans les seaux, vous conviendrez qu'au Crépuscule, ça ne se passe pas comme dans une autre cabane à sucre.

Sans blague, on y offre des produits sans gluten et le jambon ne sait même pas ce que sont des nitrates. Mes papilles et mon estomac vous garantissent sous serment que ça fait toute une différence. Mes artères également: on y cuisine sans sel. Moi qui suis loin d'être un inconditionnel de la bouffe de cabane à sucre, j'affirme sans hésitation que tout cela était excellent et agréablement différent. Je donne même trois généreuses toques d'or aux magnifiques oeufs dans le sirop et trois flatulences d'argent aux fèves au lard. Une mention plus qu'honorable à la soupe aux pois, plus épaisse qu'un sketch d'ouverture de l'émission Pour le plaisir.

Précieux boni: je ne suis même pas tombé endormi au volant de la voiture sur le chemin du retour. C'est un détail qui compte. Cela dit, si le fil du texte que vous lisez s'interrompt, ne vous en faites pas, c'est que je me serai assoupi quelques secondes; je ne l'exclus pas. Si c'est vous qui vous assoupissez, alors là, je serai nettement plus inquiet.

Reste que si je vous disais que c'était un repas léger, vous me traîneriez devant le Conseil de presse et vous auriez gain de cause mais à côté de certaines recettes de la Cabane à sucre Au pied de cochon, les mets d'hier étaient... aériens. Un brin calorique, d'accord, mais rien n'est parfait.

Sans doute parce qu'il est un coureur de fond, Jean-Pierre Clavet, le proprio et cuisinier en chef du Crépuscule, a quand même prévu les inconvénients de la possible ankylose et le repas se termine par une visite de la ferme, histoire, pour les visiteurs, de redonner rapidement de la mobilité à leurs membres inférieurs et de discuter avec les animaux de la pertinence d'implanter une usine d'engrais chimiques à Bécancour.

Au Crépuscule, on n'en utilise pas et au restaurant Toqué!, c'est leur poulet bio que le chef Normand Laprise sert à sa fortunée clientèle. La cabane à sucre n'offre que les repas du midi les fins de semaine et il faut impérativement réserver. Si votre glycémie a besoin d'un remontant: www.fermelecrepuscule.com

 

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