CHAMP
LIBRE
François Houde
Trois-Rivières — A louer, à la journée, joli studio.
Intérieur rustique. Situé sur un magnifique terrain classé
Réserve mondiale de la biosphère par l'UNESCO. Vue
imprenable sur le lac Saint-Pierre dans toutes les
directions. Chauffé. Nourriture fournie si vous pêchez comme
du monde. Toilettes communes. Les voisins sont nombreux au
sous-sol mais silencieux. Contactez le Centre de pêche le
Martin Pêcheur, à Yamachiche.
C'est le temps de réserver: la glace est plus épaisse qu'une
chanson de Normand L'Amour, ça mord et les brochets s'en
viennent. C'est que je me suis laissé dire que les brochets
perdent leurs dents au début de l'hiver mais qu'elles sont
en train de repousser et qu'en février, ils vont se remettre
à mordre comme un pitbull dans un mollet de facteur. Dois-je
le croire? Je ne sais pas mais j'aime l'idée que l'eau soit
si froide que des poissons en perdent leurs dents. Pour
l'instant, donc, les brochets se contenteraient de manger
mou: privilégiez les cubes de Jell-O comme appâts.
Pour votre information, la fin d'avant-midi, c'est l'heure
de la perchaude et du brochet. Tôt le matin et tard en
après-midi, ce sont les shifts du doré. Un groupe de quatre
joyeux lurons trifluviens ont sorti deux perchaudes pendant
que je discutais ressources halieutiques avec eux. Dodues,
les deux petites gueuses, qui ont, bien sûr, immédiatement
repris le chemin des profondeurs.
Le leader de la bande des quatre a refusé de me dévoiler son
nom mais douillettement blotti dans son anonymat, il m'a
affirmé qu'il se prend nettement moins de perchaudes depuis
quelques années. Par contre, cet hiver, elles sont
particulièrement grosses. Preuves à l'hameçon. «Il y a
quelques années, on pouvait prendre jusqu'à 125 perchaudes
dans une journée», m'a affirmé anonymement l'informateur
secret au nom inconnu.
Plus courageux, Paul Landry, de Trois-Rivières, s'est
identifié. Vingt-neuf ans de pêche blanche au même endroit
l'amène au même constat: moins nombreuses, mais plus
grosses, les perchaudes modèle 2013. Je n'en dirai pas plus
sur cet épineux dossier. Je préfère les histoires de pêche
aux débats scientifiques.
Son plus gros brochet en carrière, Paul Landry ne peut même
pas en estimer la longueur parce qu'il n'a jamais pu le
sortir de l'eau: il ne passait pas dans le trou qui, mine de
rien, a une trentaine de centimètres de diamètre. Il a
simplement coupé le fil. Histoire de pêche tant que vous
voudrez, moi, je le crois: le monsieur a une tête d'honnête
homme et il est de fort agréable compagnie. Si vous pêchez
un brochet avec un hameçon et un fil qui lui sort de la
gueule, ce n'est pas un accident de soie dentaire et vous
seriez gentil de le rapporter à M. Landry.
Entre vous et moi, vous ne risquez rien: il vous le
laissera, votre brochet, parce qu'il ne mange pas de
poisson. Il aime la pêche, c'est tout. Au point de cultiver
ses propres menés dans un gros aquarium, à la maison, c'est
vous dire.
Un autre passionné avec lequel il a fait bon discuter, c'est
Serge Croteau, de Val-Alain. Un mordu, M. Croteau. Le genre
à avoir son chalet à Forestville pour un voyage annuel à la
truite mouchetée ou à s'organiser des excursions à la Baie
James pour trouver des bêtes marines dignes de sa canne. La
pêche blanche sur le lac Saint-Pierre, c'était une première.
Après quelque temps de minutieuse observation de ses
brimbales, il n'avait toujours au compteur qu'une loche.
Vingt pouces, quand même, mais une loche. C'est laid, une
loche. Il me semble qu'on pourrait faire un petit effort
pour les visiteurs et leur réserver quelques beaux gros
dorés bien en chair. L'amabilité, ça n'a jamais tué
personne. Je dis ça mais probablement que la brunante l'a
comblé de ses bienfaits.
Dans le pire des cas, il a le temps de revenir: à moins que
les Mayas aient calculé comme le ministère des Finances
quand vient le temps de prédire le déficit du pays et que la
fin du monde arrive un mois ou deux plus tard que prévu, la
pêche blanche ne se terminera qu'à la mi-mars. Quand les
brochets auront des dents.•