Le moulin qui a cessé de
tourner
Le moulin Lemyre de Yamachiche ferme après 145 ans d'opération
PHOTO: STÉPHANE LESSARD
Gilles Lemyre était le quatrième de sa lignée à opérer le moulin
familial fondé en 1866. Il sera aussi le dernier.
Marie-Pier Duplessis
Yamachiche —
Quand Gilles Lemyre a fermé définitivement son moulin au
début du mois de mai, c'est non seulement une page de près de 150 ans
d'histoire qu'il tournait, mais aussi toute une entreprise familiale
vieille de quatre générations qui disparaissait.
«C'est sûr que ça me fait un pincement au coeur, mais que voulez-vous,
mon âge est là», admet le meunier de 69 ans. Sans relève, le moulin à
farine de sarrasin, fondé aux abords de la rivière Yamachiche par son
arrière-grand-père en 1866, n'avait autre choix que d'être voué à
l'abandon. Même si sa fille avait été intéressée à prendre les rênes de
l'entreprise, Gilles Lemyre admet qu'il n'y a plus d'avenir là-dedans. «Tu
ne vis pas avec ça. Il faut que ce soit un ajout à autre chose.»
C'est pourquoi le moulin Lemyre avait diversifié ses activités au fil
des années avec le sciage du bois, le criblage de grains, l'élevage de
porc et la moulée pour animaux. Mais c'est surtout avec la farine de
sarrasin que l'entreprise s'est fait connaître dans la région et à
l'extérieur. «Quand les gens ont commencé à entendre qu'on allait fermer,
certains sont venus nous dire qu'ils avaient comme souvenir d'être venus
au moulin avec leur grand-père dans le temps pour faire moudre leur
sarrasin», raconte Louise, l'épouse de Gilles.
Gilles Lemyre l'admet: pour pouvoir faire son métier, il fallait être «patenteux»
et se débrouiller avec peu de choses. Les membres de sa famille ont
toujours été très habiles manuellement pour réparer toutes sortes de
bris et inventer toutes sortes de mécanisme. Mais il fallait aussi une
certaine expertise, puisque ne devient pas meunier qui veut. «Il faut
savoir comment faire de la farine. Ce n'est pas parce que tu as la
machine que tu vas être capable d'en faire. Chez nous,
c'est un savoir-faire familial qui s'est transmis de génération en
génération.»
Par ailleurs, il faut savoir que même si le moulin actuel n'est pas le
même que celui construit par Amable Lemyre en 1866, les meules, elles,
sont d'origine. «Elles ont près de 150 ans. Ce sont les mêmes pierres
qui servaient au début à mon arrière-grand-père. C'est simplement le
mécanisme qui a changé.» Malgré la fermeture du moulin, l'histoire de
ces pierres originales n'est pas terminée pour autant. En effet, les
Jardins Ricard de Louiseville, le plus gros client des Lemyre, a racheté
les meules pour continuer sa production de farine. «Ça nous donne une
certaine consolation puisqu'elles vont servir à nouveau», admet Louise
Lemyre, la femme de Gilles. La bâtisse, par contre, risque d'être
démolie.
Dans les bonnes années, l'entreprise pouvait produire jusqu'à 150 tonnes
de farine par année. Les Lemyre ne cachent pas que l'arrivée du Festival
de la galette de sarrasin de Louiseville en 1978 a permis de populariser
le produit. Mais apparemment, il y aurait autre chose, aussi. «Quand le
film de Séraphin est sorti (Un homme et son péché), ils faisaient juste
allusion à la galette, mais si vous saviez combien on a fait de farine à
ce moment-là!»
Et les Lemyre, sont-ils de grands consommateurs de ce produit sans
gluten? «Je dirais que c'est comme le cordonnier mal chaussé!» rigole le
principal intéressé. «On en mange, mais pas si souvent, ajoute sa femme.
Par contre, Gilles est un expert de la galette. C'est lui qui fait les
meilleures!»•