La Presse 15 septembre 2004

 
ÉDITORIAL

Nous publions aujourd'hui le premier de trois éditoriaux
sur la culture de l'immobilisme.
Le deuxième sera publié demain.

Mario Roy
mroy@lapresse.ca

Surtout, ne faisons rien!



Il y a quelques décennies, à l'époque de la Révolution tranquille, par exemple, progresser consistait à faire quelque chose. À bâtir. À innover. À explorer la gamme des possibles. À tendre vers la plus grande prospérité pour le plus grand nombre. Maintenant, se ranger du côté du progrès consiste plutôt à se battre pour que rien n'arrive. Pour que rien ne se construise. Pour que rien ne s'écarte des sentiers battus.

Le slogan des audacieux, aujourd'hui, est : surtout, ne faisons rien ! Bien entendu, l'affaire est perceptible au niveau des idées. Et il est devenu banal de remarquer que la mouvance la plus bruyante des faiseurs d'opinion mène surtout des luttes conservatrices, au sens premier du terme, c'est-à-dire : visant à garder en l'état les idées, les structures et les situations héritées du passé.

La liste des projets contestés est rigoureusement
 égale à liste des projets proposés

Ne dit-on pas, le poing levé : « Conservons les acquis » ?

Cette philosophie se traduit, matériellement, par la quasi-impossibilité qu'il y a dorénavant de mener à bien un projet concret, de briques et de béton, sans que ne se fasse entendre le choeur des conservateurs.

On se souvient de l'épisode hilarant du Palais du commerce, dans le Quartier latin. Ce plat, laid et déprimant édifice en forme de boîte rectangulaire et à la couleur incertaine, promis au pic des démolisseurs, eut ses défenseurs. Lesquels s'opposèrent avec véhémence à sa disparition, fut-ce au profit d'une Grande Bibliothèque.

Conservons les acquis, qu'ils disaient...

Cela se passait en 2000. Depuis, la liste des projets contestés, petits ou grands, en tous domaines et pour toutes fins, est rigoureusement égale à la liste des projets proposés !

Un cas lourd est revenu dans l'actualité, avant-hier : on ne veut pas d'un incinérateur à Belledune, Nouveau-Brunswick. Mais, déjà, on ne voulait pas non plus de port méthanier à Beaumont. Ni de mini-centrales hydroélectriques sur l'une ou l'autre rivière. Ni de centrale thermique, cela va de soi. Ni de lignes de transmission, où que ce soit. Il est hors de question de démolir le hangar de Radio-Canada, dans le port de Montréal (et tant qu'à ne rien faire, il n'aurait pas fallu non plus modifier la programmation de la deuxième chaîne radio de la société d'État!). Il est prohibé de construire de nouveaux condos sur le Plateau. Ou d'ériger une Place de France à Québec. Il ne faut bâtir ni mausolée ni résidence pour étudiants sur le mont Royal. Ni de tunnel sous le fleuve, ni de nouveau pont vers la Rive-Sud, ni d'autoroute dans l'est de Montréal. Quelqu'un a déjà posé des bombes pour empêcher la construction d'appartements dans Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve. On a protesté, à Yamachiche, contre l'érection d'une nouvelle Caisse populaire.

Et, à Gatineau, contre la construction d'un... trottoir !

Dans chacun de ces cas, pris individuellement, il existe probablement de bonnes raisons justifiant une lutte pour le maintien,du statu quo..

Mais, il en existe aussi de mauvaises. Pire encore, c'est l'accumulation qui fait problème : elle fait de l'immobilisme une attitude noble et crée une force d'inertie qui devient parfois insurmontable.

___________________

(CLIQUEZ ICI POUR FERMER LA FENÊTRE)