Le Nouvelliste 4 janvier 2003

La revanche des porteurs d'eau

Ah, je sais bien que vous en avez plein le dos de payer des taxes, impôts et autres redevances. Mais comptez-vous chanceux, parce que vos ancêtres payaient tout ça, en plus d'avoir la charge des soldats qui passaient par ici, amis comme ennemis. Ces soldats, ou bien ils logeaient dans les familles, ou bien ils campaient dans les champs, mais dans les deux cas, la population locale devait leur fournir biens et services. Par exemple, il fallait les approvisionner en eau, d'où la réputation de «porteurs d'eau» qui a fini par coller à la peau de nos ancêtres.

Comme la Mauricie a toujours été un lieu de passage, on se doute que les «clients en uniforme» ont été nombreux, le long du Chemin du Roy. Il y avait d'abord tous ces soldats français qui logeaient parmi nous, supposément pour nous protéger. C'était souvent des gaillards indisciplinés, ce qui faisait dire aux Ursulines de Trois-Rivières que, vraiment, «le roi de France nous a envoyé les plus mauvais garçons du royaume!». Ensuite est venu le colonel britannique Ralph Burton, qui faisait camper ses hommes dans la commune de Trois-Rivières et qui faisait clouer ses proclamations à la porte des églises. Plus tard encore, il y a eu les Américains du général Sullivan, eux mêmes chassés par les mercenaires allemands du baron von Reidesel. Ceux-là étaient des milliers, tellement nombreux que, pour les loger, on a réquisitionné toutes les maisons de ferme le long du Chemin du Roy, entre La Pérade et Yamachiche.

Enfin sont passés chez nous les artilleurs royaux de la guerre de 1812, des soldats britanniques venus défendre le Canada contre une nouvelle invasion américaine. Un détachement de ces habits rouges avait justement choisi de passer la nuit à Yamachiche et quelques-uns, pour s'amuser aux dépens des villageois, avaient décidé de faire du grabuge. Mais ils avaient mal choisi leur maison: ils avaient forcé la porte de Cadet Blondin, reconnu comme l'homme le plus fort de tout le district de Trois-Rivières.

Ce soir-là, chez Cadet Blondin, une vitre a volé en éclats et on a vu des éclairs rougeâtres à la fenêtre. Ça n'était pas des flammes: c'était plutôt deux habits rouges qui passaient à travers le châssis!

Et puis Blondin lui-même est sorti, mais par la porte. Il s'est retrouvé entouré de soldats qui voulaient venger leurs deux infortunés compagnons. Il a vite repéré un traîneau servant à transporter des boulets de canons. Il s'est alors mis à l'ouvrage: saisissant les boulets un par un, à deux mains, et les lançant sur ses assaillants, qui n'avaient jamais vu une telle démonstration de force de la part d'un seul homme. On dit que cette altercation a fait plusieurs blessés, qui furent soignés par les Ursulines de Trois-Rivières, qui étaient aussi des soeurs hospitalières.

Cette histoire est peut-être exagérée. Il faudrait voir. Cependant, une chose est certaine: ce Cadet Blondin était une sorte de héros mauricien, comme Jos Montferrand dans l'Outaouais. Et puis, quand il tabassait les habits rouges, il posait un geste politique important: rien de moins que la revanche des porteurs d'eau!

 

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