Le Nouvelliste 5 octobre 2002

HISTOIRE

La cour de l'école


 

MICHEL CLOUTIER
 

photo: collection Michel Villeneuve, Yamachiche

   

C'est leur tout premier contact avec les bancs de l'école paroissiale en cette rentrée scolaire des années 50. Intimidante rentrée à franchir le seuil de la porte. N'ont-ils pas l'impression de marcher vers l'inconnu? Leur insouciance prend fin. Les portes de la vie s'ouvrent. Et la figure de la maîtresse restera gravée dans leur mémoire.

Dociles et bien mis, ils obéissent sans murmurer, sans broncher. Inquiétude totale. Le bon ordre règne au son de la cloche en cette période faste de la présence de l'Église où tout est vocation. D'ailleurs, les contes de Tante Lucille forment la jeunesse par l'amour de la vertu (Pompon et Griffon). Et les planchers de bois des écoles reluisent, lavés au caustique et cirés. L'âme des enfants brille tout autant.

"Une école sans Dieu exclue la grande oeuvre de Dieu", prévient Mgr l'évêque Pelletier en exaltant le rôle des enseignants en 1960. Une tâche sublime pour une éducation soignée, élevée. Réal Caouette, le fougueux chef créditiste, prophétise à son tour: "Enlevez le crucifix des écoles et le démon va prendre la place."

SÉVÉRITÉ DES MOEURS

Dès l'appel de la cloche dans la cour, les élèves sont aux ordres de leur maîtresse qui leur apprend à se placer en rangs par ordre de grandeur. Et plusieurs pleurent. Ghislaine Giroux-Gélinas les console. Une seconde maman. "J'avais 18 ans et 40 élèves, garçons et filles de première année à Saint-François-D'Assise de Trois-Rivières en 1959." Moment traumatisant. Les enfants se voient détachés de leur mère, n'ayant jamais quitté le foyer familial. Les classes maternelles se font rares. Au fil des mois, les petits seront préparés aux trois sacrements: le pardon, la première communion et la confirmation. "Et je dois leur montrer comment se confesser." Ainsi naissent les racines de la foi.

 

REDOUTABLE INSPECTEUR

Nostalgique de ce riche passé, Christiane Marcoux a 20 ans lorsqu'elle s'engage pour une carrière de 34 ans en 1963. À l'aise avec sa classe de 30 filles de septième année à Saint-François-D'Assise, sa paroisse natale, elle s'honore de tous ces visages familiers."Je suis aimée. À chaque midi, plusieurs de mes élèves s'amènent chez moi pour m'accompagner à l'école." En cette rentrée, l'enseignante veut créer de l'effet: elle prend soin d'inscrire le nom de chaque élève sur un grand carton blanc qu'elle dispose en classe avec ce titre: "Vous êtes les finissantes de l'École Saint-François-D'Assise."

Mais l'arrivée surprise de l'Inspecteur les mois suivants, lui donne la frousse. "C'est terrible, une vraie bête noire, un juge. J'avais peur de perdre mon emploi." Et une compétition sans grâce s'installe en sourdine entre laïcs et religieux. Contrôlant le système de l'éducation, les religieux succombent souvent à la tentation de choisir les meilleurs élèves pour leurs classes.

"TOUS MISSIONNAIRES"

Vers 1970, au Séminaire de Trois-Rivières, le test médical de la rentrée tourne à la dérision. Dans cet examen, le médecin effleure du doigt les testicules de l'élève nu en lui demandant de tousser. "Allez, tousse!" L'élève répond: Tous missionnaires! Consigne moqueuse venue des élèves plus âgés pour rappeler au docteur l'esprit de vocation des séminaristes. D'ailleurs, l'enceinte accueille les Zélatrices de la foi pour leurs réunions dès 1962. Par contre, l'École normale Christ-Roi fait triompher la Reine du bon parler français en 59. Tandis que se tient l'élection de la Reine de la langue française à l'École Saint-Louis-de-Gonzague de Trois-Rivières, en 1960.

Au lieu de jouer aux cancres et aux distraits pour éprouver dès les premiers jours leur nouveau professeur, les élèves du secondaire de l'École Champagnat de La Tuque, attendront un bon quinze jours. "À La Tuque, les élèves ne semblent pas agir comme ailleurs. Ils vous donnent une chance, le temps de vous étudier avant d'essayer de vous décourager", atteste, amusé, Jacques Veillette, aujourd'hui historien et généalogiste de Shawinigan.

À LA CAMPAGNE

À 17 ans, Henriette Guévin suit les traces de sa mère pédagogue. "Me voilà installée dans la petite école numéro 5 du rang de l'Île à la Fourche, située à cinq milles de la cathédrale de Nicolet."

Ses élèves arrivent candidement à pied, les plus grands tenant la main des petits. Une rentrée joyeuse, le temps de se taquiner, de jouer à la cachette et à la tag avant la percutante clochette qui leur impose le silence total. "J'ai 13 élèves et je dois tout faire: laver et cirer le plancher, alimenter le poêle à bois, quérir l'eau chez le voisin avec un grand seau et l'amener en classe, le verser dans un réservoir qui la gardera fraîche."

Âprement sévères, les commissaires ne tolèrent aucune divergence d'opinion au sujet des maîtresses: elles sont sous observation à la ville comme à la campagne. Des renvois surviennent. "Nous n'avions aucune sécurité d'emploi avant 1962. Il fallait être dans la manche des commissaires", rappelle Mme Guévin. Elle monta aux barricades en présidant son unité syndicale en 1960. Choyée, la petite Lucie Morin fait son entrée sur les bancs à six ans, soutenue par ses frères aînés Gilles, Claude et Michel, futur député de Yamaska. "C'était en 1959 à Saint-Célestin. J'avais peur, surtout l'hiver avec ces souffleuses à neige (chasse-neige)."

LES "DOUBLEURS"

À Yamachiche, ceux qui redoublent ne sont nullement déshonorés. En 1942, Madeleine Désaulniers a la lumineuse idée de placer les "doubleurs" avec les diplômés. Rien ne paraît, les matières sont reprises et tous suivent les cours de la nouvelle année. "Mes doubleurs n'ont aucune peine et font deux années dans une." Logeant à l'école, ses corrections se font à la lumière et à la chaleur de la lampe à l'huile. Les froids sibériens de l'hiver la contraignit à se réfugier chez l'habitant voisin pour y passer la nuit.

En 1953, au lendemain de la rentrée, les professeurs de l'Académie Sainte-Croix de Shawinigan conduisent les mille élèves à l'église pour la confession générale. Sauf ceux de la première année. "Nous vivions une belle harmonie", témoigne la directrice et supérieure Marie-Denise des Filles de Jésus (Rose Carpentier de Saint-Tite).


 

 

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