La cour de l'école
MICHEL CLOUTIER
|
photo: collection Michel Villeneuve, Yamachiche |
|
|
|
|
C'est leur tout premier contact avec les bancs de l'école
paroissiale en cette rentrée scolaire des années 50. Intimidante rentrée à
franchir le seuil de la porte. N'ont-ils pas l'impression de marcher vers
l'inconnu? Leur insouciance prend fin. Les portes de la vie s'ouvrent. Et
la figure de la maîtresse restera gravée dans leur mémoire.
Dociles et bien mis, ils obéissent
sans murmurer, sans broncher. Inquiétude totale. Le bon ordre règne au son
de la cloche en cette période faste de la présence de l'Église où tout est
vocation. D'ailleurs, les contes de Tante Lucille forment la jeunesse par
l'amour de la vertu (Pompon et Griffon). Et les planchers de bois
des écoles reluisent, lavés au caustique et cirés. L'âme des enfants
brille tout autant.
"Une école sans Dieu exclue la grande oeuvre de Dieu", prévient Mgr
l'évêque Pelletier en exaltant le rôle des enseignants en 1960. Une tâche
sublime pour une éducation soignée, élevée. Réal Caouette, le fougueux
chef créditiste, prophétise à son tour: "Enlevez le crucifix des écoles et
le démon va prendre la place."
SÉVÉRITÉ DES MOEURS
Dès l'appel de la cloche dans la cour, les élèves sont aux ordres de
leur maîtresse qui leur apprend à se placer en rangs par ordre de
grandeur. Et plusieurs pleurent. Ghislaine Giroux-Gélinas les console. Une
seconde maman. "J'avais 18 ans et 40 élèves, garçons et filles de première
année à Saint-François-D'Assise de Trois-Rivières en 1959." Moment
traumatisant. Les enfants se voient détachés de leur mère, n'ayant jamais
quitté le foyer familial. Les classes maternelles se font rares. Au fil
des mois, les petits seront préparés aux trois sacrements: le pardon, la
première communion et la confirmation. "Et je dois leur montrer comment se
confesser." Ainsi naissent les racines de la foi.
|
REDOUTABLE INSPECTEUR
Nostalgique de ce riche passé, Christiane Marcoux a 20 ans lorsqu'elle
s'engage pour une carrière de 34 ans en 1963. À l'aise avec sa classe de
30 filles de septième année à Saint-François-D'Assise, sa paroisse natale,
elle s'honore de tous ces visages familiers."Je suis aimée. À chaque midi,
plusieurs de mes élèves s'amènent chez moi pour m'accompagner à l'école."
En cette rentrée, l'enseignante veut créer de l'effet: elle prend soin
d'inscrire le nom de chaque élève sur un grand carton blanc qu'elle
dispose en classe avec ce titre: "Vous êtes les finissantes de l'École
Saint-François-D'Assise."
Mais l'arrivée surprise de l'Inspecteur les mois suivants, lui donne la
frousse. "C'est terrible, une vraie bête noire, un juge. J'avais peur de
perdre mon emploi." Et une compétition sans grâce s'installe en sourdine
entre laïcs et religieux. Contrôlant le système de l'éducation, les
religieux succombent souvent à la tentation de choisir les meilleurs
élèves pour leurs classes.
"TOUS MISSIONNAIRES"
Vers 1970, au Séminaire de Trois-Rivières, le test médical de la
rentrée tourne à la dérision. Dans cet examen, le médecin effleure du
doigt les testicules de l'élève nu en lui demandant de tousser. "Allez,
tousse!" L'élève répond: Tous missionnaires! Consigne moqueuse
venue des élèves plus âgés pour rappeler au docteur l'esprit de vocation
des séminaristes. D'ailleurs, l'enceinte accueille les Zélatrices de la
foi pour leurs réunions dès 1962. Par contre, l'École normale Christ-Roi
fait triompher la Reine du bon parler français en 59. Tandis que se tient
l'élection de la Reine de la langue française à l'École
Saint-Louis-de-Gonzague de Trois-Rivières, en 1960.
Au lieu de jouer aux cancres et aux distraits pour éprouver dès les
premiers jours leur nouveau professeur, les élèves du secondaire de
l'École Champagnat de La Tuque, attendront un bon quinze jours. "À La
Tuque, les élèves ne semblent pas agir comme ailleurs. Ils vous donnent
une chance, le temps de vous étudier avant d'essayer de vous décourager",
atteste, amusé, Jacques Veillette, aujourd'hui historien et généalogiste
de Shawinigan.
À LA CAMPAGNE
À 17 ans, Henriette Guévin suit les traces de sa mère pédagogue. "Me
voilà installée dans la petite école numéro 5 du rang de l'Île à la
Fourche, située à cinq milles de la cathédrale de Nicolet."
Ses élèves arrivent candidement à pied, les plus grands tenant la main des
petits. Une rentrée joyeuse, le temps de se taquiner, de jouer à la
cachette et à la tag avant la percutante clochette qui leur impose
le silence total. "J'ai 13 élèves et je dois tout faire: laver et cirer le
plancher, alimenter le poêle à bois, quérir l'eau chez le voisin avec un
grand seau et l'amener en classe, le verser dans un réservoir qui la
gardera fraîche."
Âprement sévères, les commissaires ne tolèrent aucune divergence d'opinion
au sujet des maîtresses: elles sont sous observation à la ville comme à la
campagne. Des renvois surviennent. "Nous n'avions aucune sécurité d'emploi
avant 1962. Il fallait être dans la manche des commissaires", rappelle Mme
Guévin. Elle monta aux barricades en présidant son unité syndicale en
1960. Choyée, la petite Lucie Morin fait son entrée sur les bancs à six
ans, soutenue par ses frères aînés Gilles, Claude et Michel, futur député
de Yamaska. "C'était en 1959 à Saint-Célestin. J'avais peur, surtout
l'hiver avec ces souffleuses à neige (chasse-neige)."
LES "DOUBLEURS"
À Yamachiche, ceux qui redoublent ne sont nullement déshonorés. En
1942, Madeleine Désaulniers a la lumineuse idée de placer les "doubleurs"
avec les diplômés. Rien ne paraît, les matières sont reprises et tous
suivent les cours de la nouvelle année. "Mes doubleurs n'ont aucune peine
et font deux années dans une." Logeant à l'école, ses corrections se font
à la lumière et à la chaleur de la lampe à l'huile. Les froids sibériens
de l'hiver la contraignit à se réfugier chez l'habitant voisin pour y
passer la nuit.
En 1953, au lendemain de la rentrée, les professeurs de l'Académie
Sainte-Croix de Shawinigan conduisent les mille élèves à l'église pour la
confession générale. Sauf ceux de la première année. "Nous vivions une
belle harmonie", témoigne la directrice et supérieure Marie-Denise des
Filles de Jésus (Rose Carpentier de Saint-Tite).
|