Le Nouvelliste 18 mai
2002
HISTOIRE
LES KIOSQUES À FANFARES
MICHEL CLOUTIER
Trois-Rivières
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Photo: archives Le Nouvelliste |
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Vers 1945, l'Union musicale de Trois-Rivières défile, rue des Forges. | |
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Puisqu'elles annoncent et propulsent les événements triomphants, les fanfares gravitent autour des politiciens. Jusqu'à récupérer la totalité des événements religieux.
Rien n'est perdu. Vifs et rythmés, les
concerts sont disputés dans les kiosques à fanfares de nos parcs, commandités
par la Brasserie Molson. Un avant-goût saisonnier pour espérer rafler les
honneur des grands festivals qui vont se déployer sur 30 ans, de 1940 jusqu'en
1970.
LES CIGARES DU TUBISTE
Fumant comme un pompier, l'étonnant tubiste Stanislas Panneton de l'Union
musicale de Trois-Rivières, n'arrive pas à se passer de cigares: il en tient
toujours un gros entre les doigts quand il joue. "Il prend un coup de cigare et
pouf! pouf! il souffle dans son sousaphone. C'est de toute beauté de le voir et
de le sentir", rappelle Jacques Falardeau, tromboniste. Scène cocasse qui fera
le tour du pays, croquée par un photographe de presse de Toronto en ces années
50. Avec ses quatre frères, Jacques Falardeau fait son entrée dans l'Union
musicale. Les frangins se surpassent à jouer ensemble durant une décennie.
L'ATTRAIT DE LA SEMAINE
La fébrilité estivale atteint les kiosques des diverses localités dont ceux
des parcs Champlain et Victoria de Trois-Rivières. L'Union musicale stimule les
soirées du jeudi. Les élans musicaux se poursuivent le dimanche soir avec la
Philharmonie de La Salle, cette autre formation de la ville trifluvienne. Des
tournées américaines s'organisent.
Foules nombreuses. Jeunes et vieux s'amènent. C'est l'attrait de la semaine, le
grand divertissement. L'éclat des marches militaires et des valses met en liesse
le public. Les jeunes jubilent, se promènent agréablement main dans la main. Des
amours de vacances à faire et refaire le quadrilatère du parc Champlain. "Ils
circulent ainsi toute la veillée durant", note M. Falardeau. Ça grouille de
monde jusque sur les marches de la cathédrale. Le ravissement gagne les rues,
les klaxons retentissent des voitures stationnées, remplies de familles.
"C'est formidable, on se fait un devoir de
jouer et d'étudier sérieusement nos pièces deux fois par semaine. En plus de
jouer dans la fanfare de l'armée", explique Jacques Falardeau dont le père
Jules, ténor dans la chorale Saint-Philippe, cultive ce goût de la musique et de
la chanson.
FRAPPEZ LES CYMBALES!
En 1947, au soir de l'élection fédérale du 27 juin, la fanfare Sainte-Anne
de Yamachiche est priée de prendre l'autobus, réclamée d'urgence à l'Hôtel de
ville de Trois-Rivières par le candidat libéral Wilfrid Gariépy, porté en
triomphe par ses partisans. "Amenez la fanfare!", hurlent d'enthousiasme ses
organisateurs. Les trompettes sonnent, les tambours frappent. Mais Gariépy
pavoise un peu vite, talonné drôlement par le conservateur Léon Balcer. Les
derniers résultats retentissent. L'incroyable arrive: Balcer l'emporte par 62
voix. S'organise aussitôt un bruyant défilé de voitures, emportant Balcer à
l'Hôtel de ville sous les bravos... et sous le regard subitement paniqué,
effondré de Gariépy. La fanfare pivote, change de camp, joint le concert
d'acclamations donné par la foule du vrai vainqueur. Les deux candidats auront
triomphé, l'un à la suite de l'autre. "Ce soir-là, les deux adversaires ont fêté
avec la fanfare de Yamachiche!", rappelle Jacques Jess Laberge,
journaliste retraité du Nouvelliste.
LES GRANDS CHAMPIONS
La célèbre Union musicale de Shawinigan, championne incontestée du Québec
sous la baguette de Philippe Filion, souligne le demi-siècle de la Ville par un
festival regroupant 47 fanfares en 1951. Les foules évaluées dépassent 75 000
personnes. Grandes émotions. Un Américain dirige le festival: Edwin Franko
Goldman, directeur de la réputée fanfare de New York. Se taillant une brèche
dans ses tournées franco-américaines, l'Union musicale y donne parfois huit
concerts par jour. En 1947, on a pu établir l'auditoire à 145 000 personnes pour
les six villes visitées en une semaine.
Touche-à-tout dans sa vitalité énorme, Maurice Coutu abat une besogne
considérable, devient le secrétaire-trésorier perpétuel de l'Union musicale de
1924 jusqu'à sa mort en 1975, soit 51 ans. Chef de file, on le retrouve au
niveau québécois et canadien.
Activiste à se rendre parfois tyrannique, Coutu porte le manteau de la morale,
autant de l'Union musicale que de la Cité de Shawinigan. À soutenir leurs
réputations. Si bien qu'il adresse des lettres de remontrances aux musiciens,
reprochant l'indiscipline des uns face à la boisson, et le manque de rigueur des
autres dans l'exécution des morceaux. Il est vrai qu'après chaque concert, on
s'assure d'avoir sa caisse de bière Molson. Une gracieuseté de l'agent
commanditaire. En dépit de l'offensif mouvement Lacordaire (et des Jeanne-D'Arc)
qui tente de contrer le fléau social de l'alcoolisme.
LES SEPT VILLEMURE
À Yamachiche, ils sont sept Villemure ponctuels, quatre frères et deux
cousins dans la Philharmonie Sainte-Anne. "À neuf ans, je pratiquais avec la
trompette de mon père Sylvio", relate Jean Villemure. Le concert de la Fête
patronale du 26 juillet donné au kiosque, attire jusqu'à 1500 personnes. "C'est
le plus couru, les foules sont considérables, on joue des marches d'entrées, le
Colonel Bogey, Sambre-et-Meuse, les polkas etc.".
Pendant ce temps, le kiosque de Louiseville fourmille, l'ambiance donne du
punch. Cyrille Gadbois, trompettiste, a des poussées d'exaltation, jouant en
solo au grand plaisir de la foule. "J'ai appris des Frères des Écoles
chrétiennes. J'ai joué 50 ans dans l'Harmonie de Louiseville. Nous faisions des
échanges de concerts avec Sorel."
L'HARMONIE DE LA TUQUE
Passionné, Paul-Émile Bourassa se fabrique tôt un idéal. "Je courrais les
fanfares à 11 ans. J'avais la musique dans le sang. Quand elles paradaient, je
partais avec et je me ramassais à La Tuque, mes parents me cherchaient, ne
savaient plus où j'étais! Moi, j'étais derrière la fanfare, je la suivais au
pas!" Devenu clarinettiste dans cette formation, il se retrouve aujourd'hui
ambassadeur de l'Union musicale de Shawinigan. Auteur en 1997 de l'ouvrage
Mémoires de l'Harmonie de La Tuque, le voilà archiviste et historien, plongé
à écrire les 75 ans de l'Union musicale de Shawinigan... toujours avec sa
clarinette.
L'Harmonie de La Tuque et les zouaves ont des affinités électives: ils paradent
ensemble aux fêtes religieuses. Joueurs de tours nocturnes, certains zouaves
profitent du conventum des Piles pour couper les cordes des tentes des
musiciens. "On se ramasse en pleine noirceur la tente sur la tête!", rigole
Paul-Émile Bourassa.
FUMER À L'INDIENNE
Plus malins que d'autres, certains musiciens pratiquent des stratèges à
l'indienne en ces années cinquante. Tombés dans le déshonneur, ils dévissent la
calandre, cette garniture métallique protégeant le radiateur de l'autobus de la
fanfare pour y camoufler des cigarettes américaines. À déjouer les douaniers à
leur retour au Québec. C'est à jouer de la contrebande au lieu de la
contre-basse! Nos musiciens auraient-ils du sang indien? Leurs prestigieuses
tournées en Nouvelle-Angleterre, source de célébrité, ne peuvent toutefois
échapper aux intempéries. Si bien que lors d'un orage imprévu, la pluie s'est
mise à fouetter la calandre... inondant la cachette. À l'eau le trafic!
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