Le Nouvelliste 9 décembre 2000

Le lac Saint-Pierre: univers de contrastes

L'étrange relation entre l'homme et la nouvelle Réserve mondiale de la biosphère de l'Unesco

Brigitte Trahan
 Louiseville

Bien des gens sont restés surpris, il y a un an, lorsque l'Unesco a commencé a s'intéresser à notre bon lac Saint-Pierre dans le but d'en faire une «Réserve mondiale de la biosphère». Cette histoire-là, quand on y pense, n'est pas étrangère à celle de Cendrillon. C'est Normand Gariépy, le président de la société de conservation du Bas-Richelieu, qui aura joué le rôle du «prince», cette fois-ci, en sachant reconnaître les beautés exceptionnel les du lieu. M. Gariépy et son équipe ont fait prendre conscience à bien des gens que le lac Saint-Pierre est un miracle quotidien où cohabitent une faune exceptionnelle et une industrie florissante mais aussi extrêmement polluante.

Notre «Cendrillon» a beau avoir été couronnée mais on ne sait toujours pas si elle vivra heureuse. Le lac Saint-Pierre fait face, en effet, à bien des difficultés environnementales et le titre décerné par l'Unesco ne lui confère aucune protection si ce n'est peut-être la sympathie de ses usagers.


(Alpho Presse: Alain Bédard)
Vue imprenable d'un couché de soleil sur le lac Saint-Pierre

 

Un lac pollué

Nombreux sont ceux qui comparent l'entrée du lac Saint-Pierre, c'est-à-dire l'archipel des îles de Sorel et Berthier, à un rein pour le fleuve Saint-Laurent. Ses 190 km carrés d'herbiers aquatiques, où se trouve la plus importante héronnière en Amérique du Nord, servent en effet de filtres pour les polluants qui les traversent. L'apport en eau des Grands lacs représente au moins 60 % du volume total du fleuve Saint-Laurent. On a répertorié dans ces eaux plus de 30 000 contaminants chimiques dont environ 800 sont considérés comme dangereux. Le «rein» travaille donc très fort.

Le lac Saint-Pierre doit aussi composer avec les eaux de ruissellement provenant des terres agricoles (engrais, purin, pesticides) ainsi que les eaux usées de la région de Montréal et des rivières du Loup, Maskinongé, Richelieu, Yamaska, Nicolet et Saint-François.

Des efforts considérables de dépollution, tant au niveau des industries que des rejets municipaux sont toutefois en cours. Bien qu'il reste beaucoup à faire, cette bonne volonté commence à être contagieuse. Dans la MRC de Maskinongé, par exemple, la majorité des municipalités installées le long de la rivière du Loup ont commencé à traiter leurs eaux usées et un groupe de citoyens de Louiseville caresse le projet de rendre cette rivière à nouveau accessible aux plaisanciers ce qui aura inévitablement des impacts positifs sur le lac Saint-Pierre dans lequel elle se déverse.

Mise à part la voie maritime du Saint-Laurent qui est draguée entre 30 et 40 fois par année pour accueillir les navires de fort tonnage, le lac Saint-Pierre n'a une profondeur que de trois à 12 pieds. On y trouve 83 km carrés de marais, 46 km carrés de prairies humides et 80 km carrés de marécages. Cela rend les rives du lac inhabitables et de nombreux analystes estiment que cette caractéristique a joué un rôle majeur dans la survie de l'habitat.

 

Un lac riche

Voilà qui est fort heureux puis que le lac abrite 79 des 116 espèces de poissons d'eau douce qui existent au Québec. Pas moins de 288 des 400 espèces d'oiseaux du Québec y sont aussi observables et les herboristes y ont déniché 27 espèces végétales rares, menacées ou vulnérables.

Cette écologie extrêmement dense et diversifiée attirera quelque 100 000 touristes par année autours des prochaines années dans la région. Le titre de Réserve mondiale de la biosphère aura donc pour effet, à ce chapitre, de rendre au lac ses lettres de noblesse.

D'aucuns se demandent comment la nature a pu résister à sa relation souvent inégale avec l'homme. Les centaines de navires de fort tonnage qui circulent chaque année sur le fleuve Saint-Laurent auront en effet causé 641 déversements entre 1971 et 1988 et on pourrait raconter de véritables histoires d'horreur au sujet des rejets industriels. Par opposition, les partenaires québécois du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine prévoient investir en 15 ans quelque 13 millions $ au fleuve, dont la moitié au lac Saint- Pierre, pour la restauration des terres humides.


Un lac nourricier

Malgré toute la pollution engendrée par les activités humaines, le poisson qui se pêche au lac Saint- Pierre est toujours comestible, en quantité modérée. C'est d'ailleurs un lieu privilégié pour les pêcheurs sportifs et ce, hiver comme été. Pas moins de 42 pêcheurs commerciaux y gagnent leur vie, principalement grâce à la perchaude. Les débarquements commerciaux étaient de 210 tonnes par année, avant 1994. De puis 1997, toutefois la récolte n'est plus que de 70 tonnes. Les raisons de cette baisse font l'objet de nombreux débats.

Peu à peu, on commence à redécouvrir les beautés de ce vieil ami. Des aires de migration ont été aménagées à Baie-du-Febvre et à Saint Josepb-de-Maskinongé. Elles attirent chaque année des dizaines de milliers d'oies blanches, d'outardes et de canards et presque autant de curieux. Diverses entreprises, comme le Domaine du lac Saint-Pierre, à Louiseville, offrent des forfaits d'exploration.


Lac de contrastes

Monde de contrastes, s'il en est un, le lac Saint-Pierre a aussi servi, dans sa portion sud-est, de champ de tir pendant 50 ans. Un allié du lac, le mouvement GAR, a toutefois réussi à convaincre le gouvernement de faire cesser cette pratique, en janvier dernier. Personne ne sait toute fois comment on pourra nettoyer le fond du lac des milliers d'obus qui y gisent.

Les humains se sont servi du lac Saint-Pierre pour déverser leurs déchets, pour faciliter leur commerce et se préparer à la guerre. Mais avec des investissements récents de 15 millions $ dans la conservation, les 8 millions $ de retombées économiques annuelles reliées à la faune et les millions $ à venir du côté touristique grâce au titre de l'Unesco, il est à parier que Cendrillon vivra un peu plus heureuse qu'avant et que les gens cohabiteront pacifiquement avec le lac Saint-Pierre pour manger, se baigner, s'amuser et s'instruire.

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