Le Nouvelliste 4 février 2000

Thanatologues de père en fils

Jacques Saint-Louis a transmis son expertise à son fils Michel

 

Roger Levasseur
Yamachiche

 

«Au début du siècle, Si la famille était pauvre, on pouvait enterrer un enfant pour 3 $», raconte M. Jacques Saint-Louis, de Yamachiche, qui sait fort bien de quoi il parte puisqu'il a oeuvré dans l'entreprise funéraire familiale pendant 45 ans, avant de la céder à son fils Michel, en 1992.


(Alpho Presse:Alain Bédard).
C'est en 1930 que M.Omer Saint-Louis a débuté comme entrepreneur funéraire, à Yamachiche. Son fils Jacques qui a pris sa relève montre ici le grand livre
 dans lequel le paternel inscrivait tous les détails pertinents aux funérailles dont il se voyait confier la responsabilité.
Né à Yamachiche en 1927, Jacques Saint-Louis a vu son père Orner se lancer dans ce domaine peu commun, en 1930. «Le seul entrepreneur funéraire de Yamachiche, Jos Hélie, était très âgé. Nous habitions alors sur la rue Saint-Jacques. Je me souviens que mon père achetait les cercueils chez Girard & Godin, à Trois-Rivières. Souvent il achetait des cercueils pas finis, les boîtes qu'on appellait et on les finissait ici pour que ça coûte moins cher. Les cercueils étaient remisés à l'étage de notre maison de sorte que cet appartement devenait souvent l'endroit où nous allions jouer», a rappelé le septuagénaire.

Même s'il a terminé son cours de thanatologue à 20 ans et que c'est à cet âge qu'il a officiellement commencé à travailler dans l'entreprise funéraire, Jacques Saint-Louis en connaissait déjà bien des secrets. Il expliquera ainsi qu'au début du siècle! on embaumait et on exposait les corps dans la résidence des décédés.

«On partait avec le cercueil et on embaumait le mort chez lui. Autrefois, c'était loin d'être une sinécure. La pompe qui servait à retirer le sang du corps et à injecter le fluide de conservation était manuelle. Régulièrement, il fallait embaumer le corps au cours de la nuit, de façon à ce qu'il soit exposé lorsque la famille revenait de la messe. Dans ce temps-là, on allait à la messe à tous les matins. Les corps n'étaient pas exposés plus de trois jours. C'était pratiquement le maximum de temps pour la conservation.

«Si la personne décédait lors des Jours saints, ça représentait un problème, car le service ne pouvait avoir lieu avant le lundi de Pâques. On demandait alors à la famille de chauffer la maison le moins possible...Il faut également dire qu'à cette époque, on veillait le corps jour et nuit. À minuit, c'était le gros réveillon qui était servi et quand c'était un aïeul qui était mort, souvent le fun prenait sur les petites heures du matin», a raconté le citoyen de Yamachiche.

M. Saint-Louis précisera que l'habitude d'exposer les corps dans les résidences funéraires n'a débuté qu'à la fin des années 40 ou début des années 50. «Et, dans les premiers temps, c'était très mal vu. Les familles qui le faisaient passaient pour des sans-coeur. Je me souviens qu'il n'y avait qu'une porte d'arche qui séparait ma chambre à coucher du salon où était exposé le mort. Il faut dire que dans notre famille, jamais personne n'a eu peur des morts!», a enchaîné le septuagénaire.


Le 24 octobre 1932, les funérailles de M. Euchariste Ricard, de Yamachiche, furent grandioses. On remarquera le corbillard tiré par des chevaux ainsi que les porteurs qui étaient des membres de la famille ou des amis du disparu. La facture de l'entrepreneur funéraire Omer Saint-Louis avait totalisé 318 $, un montant énorme pour l'époque.
M. Jacques Saint-Louis garde précieusement un grand livre dans lequel son père inscrivait tout ce qui était pertinent aux funérailles dont il avait la responsabilité. On verra ainsi le coût de pusieurs funérailles, dont une ayant coûté en tout et par tout 87,58 $, dont 2,58 $, en taxes. Celles de M. Euchariste Ricard, décédé le 21 octobre 1932, avaient été beaucoup plus dispendieuses: cercueil, 265 $, embaumement, 25 $, décorations, 15$, voiture 7 $, fournitures diverses, 3 $ et inscription sur plaque, 3 $, pour un grand total de 318 $. Le corbillard était alors tiré par des chevaux.

«Au cours de ces années, ce n'était pas la maison funéraire qui fournissait les porteurs mais bien la famille qui demandait à des parents ou amis de porter le cercueil. Lorsqu'au début des années 50, les maisons funéraires ont commencé à fournir les porteurs, ces derniers étaient payés 2 $. Je me souviens de Paul Villemeure qui faisait trois milles à pied pour venir porter. Il y avait également Jean-Paul Boisvert, secrétaire municipal de Pointe-du-Lac et aussi de la commission scolaire, qui était porteur. Quand il y avait des funérailles, les deux bureaux fermaient... Quand les funérailles avaient lieu ailleurs qu'à Yamachiche, on apportait les six habits, cravates et chapeaux des porteurs. Ils n'étaient donc pas toujours habillés sur mesure...», a continué M. Saint-Louis qui a mentionné qu'autrefois, l'entraide dans les petites communautés était remarquable.

«Les porteurs ne faisaient pas ce travail pour l'argent mais bien pour la famille du disparu. Dans les cas d'hétacombes ou de tragédies majeures, les gens et institutions s'aidaient encore plus. Par exemple le 6 janvier 1965, un accident avait fait trois morts, soit Mme Philippe Dugré et ses deux enfants. Les corps furent exposés à l'école Notre-Dame de Pointe-du-Lac qui fut fermée pendant trois jours», a rapporté M. Saint-Louis.

L'ancien directeur funéraire mentionnera que pendant plusieurs années, l'entreprise familiale avait un service d'ambulances et qu'on se rendait directement sur les lieux des accidents. «Pendant plusieurs années, la morgue était aussi chez nous. Plus encore, le coroner se déplaçait de Trois-Rivières et il faisait son enquête à notre morgue. Il fallait réunir six personnes qui servaient de jurés. Après avoir entendu les témoins, le verdict à savoir s'il s'agissait d'une mort accidentelle ou d'une négligence criminelle était rendu sur place», a également appris M. Saint-Louis.

Il a noté que ces dernières années les méthodes pour la conservation des corps sont très améliorées. «On peut garder un corps facilement 10 jours et même plus. Aujourd'hui, les gens voyagent beaucoup. Des personnes qui sont en voyage en  Europe ou ailleurs nous demanderont de conserver le corps de leur  père ou de leur mère jusqu'à leur retour», a fait ressortir M. Saint-Louis en signalant enfin que dans les petites municipalités, l'incinération est beaucoup moins populaire que l'enterrement traditionnel. «À peine 10 % dans les campagnes»,évalue-t-il.

La résidence funéraire Omer Saint-Louis est devenue Saint-Louis & fils Itée, en 1967. Il y a 25 ans, Jacques Saint-Louis établissait son fils Michel pour l'opération d'une  résidence funéraire à Louiseville en1992, Michel a pris la succession l'entreprise de son père et de son grand-père. Les deux fils de Michel se dirigent dans la même voie, François ayant complété son cours de  thanatologue de trois ans au CEGEP de Rosemont et Martin débutant le  même cours. Saint-Louis & Fils possède des centres funéraires à Louiseville, Yamachiche, Pointe-du-Lac, Maskiinongé et Saint-Justin, de même que des places d'affaires à  Saint-Sévère et Saint-Thomas-de-Caxton.

Mariée à Réjeanne Savoie et également père de deux filles, Louise et  Mireille, M. Jacques Saint-Louis, dit avoir toujours aimé son travail d'entrepreneur funéraire. «Je peense que lorsqu'on est né dans un métier, on l'aime. J'aime les gens. C'est un  plaisir de les rencontrer. Chez nous, ça c'est toujours fait dans une atmosphère cordiale. Pendant longtemps, les arrangements avec la famille se faisaient dans ma cuisine, autour,d'une tasse de café. La plupart des gens m'appellaient Ti-Jacques et cognaient à la porte de la maison au lieu du salon funéraire. À ma retraite, j'aime bien la baignade, le golf, la bicyclette et la lecture», a conclu M. Saint-Louis qui, pendant plusieurs années, a également opéré un commerce de meubles, à Yamachiche.


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