Le Nouvelliste 28 janvier 2000

 

 

L'homme des chicanes de clôture

À 72 ans, Lucien Girardin aime toujours son travail d'inspecteur agraire

Brigitte Trahan
Yamachiche

Lorsqu'il y a une chicane de clôture, quelque part, Lucien Girardin est toujours impliqué et c'est lui qui parle le plus fort.

M. Girardin est inspecteur agraire, c'est-à-dire une espèce de juge des discordes entre voisins au sujet des bornes d'un terrain ou des fossés d'égouttement. Un Salomon des temps modernes, quoi.

Il a pleine autorité et lorsqu'il tranche dans une situation, bien chanceux qui pourra réussir à renverser sa décision en cour.

Ce travail, pour lequel M. Girardin a été assermenté par la municipalité d'Yamachiche il y a 20 ans, est moins bien connu des citoyens dans les villes, aujourd'hui, mais dans les milieux plus ruraux, la présence d'un inspecteur agraire est requise et permet aux contribuables d'épargner d'importants frais de cour.

«Notre travail consiste à créer un accord entre deux voisins au sujet d'un litige entourant une clôture ou un fossé de ligne. Nous ne disons jamais que la ligne est à tel endroit. C'est le travail des arpenteurs. Mais nous avons pleins pouvoirs de juger d'une situation concernant une ligne existante et même d'imposer une solution si les citoyens ne s'entendent pas», explique-t-il.



M.Lucien Girardin.
(Alpho Presse: Alain Bédard)
M. Lucien Girardin

«Par exemple, si une clôture est délabrée et qu'un des deux voisins refuse de contribuer à la réparer, je peux moi-même ordonner sa réparation, engager un contracteur et refiler la facture aux deux voisins. Dans ce cas, si les deux personnes ne s'entendent pas, ça va leur coûter 20 % de plus pour les travaux. Le but, c'est qu'ils s'entendent», explique M. Girardin.

Ce dernier ne sait pas trop pourquoi la municipalité d'Yamachiche lui avait demandé d'exercer ce travail, il y a 20 ans, un travail qui exige de la sagesse mais aussi de la fermeté dans les décisions. Paul Desaulniers, secrétaire-trésorier de la municipalité, a sa petite idée là- dessus: «M. Girardin a élevé 11 enfants. Et ce sont toutes des filles», dit-il avec humour.

Évidemment, ça ne fait pas l'affaire de tout le monde de se voir imposer une décision et M. Girardin ne cache pas qu'on l'a déjà menacé. «Ca n'arrive pas souvent, heureusement. Mon père aussi était inspecteur agraire et il a déjà reçu un coup de poing à la figure dans le cadre de ses fonctions», se souvient-il. «Pour ma part, je ne me suis jarnais vraiment fait d'ennemis.»

Il y a quelques années encore, il devait se limiter à mettre le plus possible la paix entre les voisins. Aujourd'hui, c'est plus compliqué un peu. Il doit parfois recourir aux conseils d'avocats spécialisés dans les choses municipales pour trancher. «Le but, dans tout ça, c'est d'éviter que les gens aient à prendre les gros recours», fait-il valoir. L'inspecteur agraire doit prendre des décisions conformes au Code civil, au code municipal ou à certains règlements municipaux. Mais il doit aussi se fier au bon sens.

Parfois, il est difficile de trancher et, somme toute, c'est la simple sagesse qui doit prendre le dessus. «J'ai eu le cas de deux voisins qui avaient pris entente pour creuser un fossé. Ça devait coûter 1000 $ et il était entendu entre eux qu'un voisins ne devait payer que 300$. Or, les travaux ont duré plus longtemps que prévu et ça a coûté deux fois plus cher. On a alors demandé 600 $ à celui qui ne devait en payer que 300$. J'ai dû trancher en sa faveur puisqu'il y avait eu entente pour 300$», raconte M. Girardin pour démontrer à quel point certains cas sont délicats à résoudre.

Le travail d'inspecteur agraire est un vieux métier pour lequel le code municipal moderne maintient toujours le salaire anachronique de 0,20 $ de l'heure. «On a toutefois réglé ça, récemment, avec les municipalités. Pour ma part, je reçois 15$ et on me donne un minimum de deux heures par intervention.

Tant qu'à être dans les chicanes de clôture, Lucien Girardin s'est aussi retrouvé par la force des choses dans les chicanes de frontières entre propriétaires de lots au cimetière de sa paroisse. «Je suis marguiller et la  «job» du cimetière, qui était faite par les curés autrefois, m'a été remise», raconte-t-il.

Cette fois-ci, il faut s'assurer que les lots répondent bien aux mesures auxquelles ils devraient correspondre sur papier. «Un des curés, autrefois, mesurait les lots avec ses pieds. Et comme il avait de tout petits pieds, eh bien il y a des mesures qui ne sont pas correctes», dit-il.

Sur la proposition de M. Girardin, le conseil des marguillers a donc décidé de faire arpenter le cimetière, un travail qui a été commencé il y a deux ans, question d'éviter que les chicanes de clôture se poursuivent jusque dans l'autre monde...


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