Les profiteurs

 

En cette journée d'avril du printemps 1990, au retour de l'extrémité de la " Grande baie " avec le fruit de ma récolte de poissons aux filets de pêche, j'accélère à mi-chemin afin de faire baisser l'avant de la chaloupe dû au peu d'eau contenue dans cette anse en cette saison, donnant comme résultat de remonter l'arrière de cette dernière tout en empêchant l'hélice du moteur de trop labourer la vase du fond du plan d'eau et même de la briser sur un obstacle rigide; même dans l'accélération, la vitesse n'est pas au maximum dû justement, au risque de " cassage " et je vérifie souvent à l'arrière le travail du moteur dans cette eau devenue brouillée dans le sillon agité par l'hélice.

 

Soudain, en levant ma tête, je vois des dizaines de Goélands à bec cerclé suivre ce trait liquide très sale à la surface et, tour à tour, sans arrêt, je les observe dans leurs plongées et leurs remontées pendant tout le trajet de mon retour et ce n'est qu'en tournant à l'embouchure de la rivière que je saisis le pourquoi de cette activité bizarre. Je repère un petit poisson remonté et projeté à la surface par mon hélice et gobé immédiatement par la descente rapide d'un Goéland à bec cerclé: c'est donc ça l'énigme. Ces goélands profitent de toutes les occasions pour bouffer et celle-ci était trop belle pour la laisser échapper.

 

Prêtes pour le départ

 

Lors d'un début de soirée très sombre de fin d'avril, je sors de la route gravelée, en vélo, raccourcissant la distance me séparant du voyage éclair que j'ai l'intention de faire au début de la voie de service près de laquelle la crue des eaux du lac s'effectue à chaque printemps. Depuis peu sorti de la gravelle, des cris d'alerte résonnent dans l'air et je freine instantanément en n'apercevant rien au premier coup d'oeil, surtout avec ce ciel nuageux et obscurci mais, en attrapant mes 7X35, je capte avec facilité par l'entremise des loupes une première image des coupables, soit deux Bernaches du Canada, espacées de quelques dizaines de mètres, agissant comme sentinelles pour plusieurs autres à l'arrière, lesquelles mangent avec avidité; en ajustant parfaitement mes globes oculaires, je suis étonné d'examiner au minimum cinq mille bernaches, surveillées par une sentinelle à chaque vingt ou trente mètres sur une distance d'un kilomètre de long et de cinq cents mètres de large, ce tout près de la route où je suis arrêté de l'autre côté en face. Les surveillantes nerveuses lancent alors une autre série de cris en alarme et je quitte avant la troisième qui les fait automatiquement s'envoler.