Une grue, en morceaux

 

Article de Michel Bourassa

 

Aujourd'hui, le 25 juillet 2002, en deuxième partie de l'après-midi, à la Pointe d'Yamachiche, je scrute les rives des lieux avec un ami, celui-ci étant encore en apprentissage dans l'observation des oiseaux.

 

Nos jumelles ne sont pas très occupées depuis les trente dernières minutes car les habitués du ciel et des eaux semblent les bouder, probablement au repos dans des endroits ombragés, à la fraîcheur, dû à la chaleur de cette période du jour. Vu le peu d'activité, je me tourne vers mon "élève" et je lui signale que des Hirondelles à ailes hérissées et une Oie de Ross ont été repérées à Baie-du-Fèbvre, tout récemment, et d'un commun accord, nous décidons d'y aller.

 

Après avoir pris de la crème glacée sur notre route, nous arrivons au stationnement de "Sarcel" où les fameuses hirondelles devraient être présentes si la chance est avec nous. En juillet, l'eau du marais est en retrait et les oiseaux aquatiques sont beaucoup plus éloignés qu'au printemps, d'autant plus que le soleil, à l'heure du souper, projette une puissante lumière sur l'onde, occasionnant de nombreux reflets qui rendent l'identification des espèces très difficile.

 

Tout en cherchant les hirondelles et la petite oie, nous apercevons des Oies des neiges qui dépassent à peine des herbes hautes et ce, près de l'eau, au loin; si l'Oie de Ross est là, c'est peine perdue à cette distance. Avec nos lentilles grossissantes, nous voyons des Hirondelles bicolores et des Hirondelles rustiques mais encore là, si des Hirondelles à ailes hérissées s'y sont mêlées, impossible d'en capter une, dû à une visibilité amoindrie par les vapeurs d'eau dans l'air, résultat de la chaleur.

 

Soudain, en guidant mes jumelles sur les arbres morts, vers le fond et au centre de l'étang, un Grand Héron est posé sur une branche, dans le haut d'un de ces moribonds et en les abaissant, je réussis à saisir un autre échassier blanchâtre et dès cet instant, commence un vrai travail de moine, causé en grande partie par ce satané soleil, situé à l'ouest, et qui se couche très lentement, envoyant ses rayons directement sur le volatile aux longues pattes et nous obligeant à assembler chaque segment de son corps comme les morceaux d'un casse-tête. Nous pouvons mettre des couleurs sur les parties du corps de notre spécimen, soit du noir pour ses pattes interminables ainsi que sur les ailes repliées derrière celles-ci et aussi derrière le bec, du jaune pour le long bec fort et assez pointu, du rouge pour le dessus de la tête et des soupçons, fondus au noir près du cou sous l'oeil et une majorité de blanc pour les ailes, la queue, le cou et l'arrière de l'oeil. Je suis convaincu que c'est une grue mais un détail très important m'intrigue au plus haut point et c'est la couleur bleue, très pâle, de la poitrine;n'ayant pas mon " guide des oiseaux de l'Amérique du Nord ", je dois attendre le retour au domicile pour confirmer l'espèce mais avant de quitter, nous avançons dans le marécage pour la faire voler et dans son exécution, même si c'est seulement une silhouette, avec l'astre du jour à son plus bas, c'est assurément une grue, avec son plumeau et elle est, de toute évidence, plus longue que la Grue du Canada.

 

Enfin chez moi et très anxieux, mon anticipation se confirme car c'est bel et bien une Grue blanche adulte et ma croyance que cette grue avait le corps immaculé, soit blanc, était fausse, ce qui a causé tous les doutes lorsque nous étions sur place, car nous n'avons jamais été capables de l'admirer en entier et dans toute sa splendeur, dû à l'envahissement démesuré du soleil.

 

Très peu d'ornithologues croient à cette observation mais c'est la réalité et je ne peux la changer, pour mon grand bonheur et celui de mon " élève ".