LA GLACIÈRE

 

Aujourd’hui, en 2007, nous sommes habitués au confort et nous oublions parfois qu’il n’en était pas ainsi il y a cinquante ans et que c’était encore pire au début du vingtième siècle. Si nous avons seulement qu’à ouvrir la porte du réfrigérateur pour prendre une bière ou un verre de limonade froide, selon le goût du moment, pendant une journée torride d’été, jadis il fallait être débrouillard et surtout être prévenant pour obtenir le même résultat, surtout s’il s’agissait de la viande et de toute autre nourriture périssable.

 

Les bouchers et les pêcheurs commerciaux, en particulier, se préparaient dès mi-janvier,  à chaque année, en commençant à mesurer l’épaisseur de la glace sur la Petite Rivière Yamachiche et ce, afin de faire la "coupe de glace" vers le milieu de février ou plus tard (si la glace n’était pas assez épaisse) car, plus les blocs de glace étaient volumineux, moins de voyages étaient nécessaires à la glacière; chaque morceau de glace avait environ dix-huit pouces carrés et entre vingt-quatre et trente-six pouces de haut, selon la rigueur de l’hiver. La "coupe de la glace" se faisait avec un godendart à une poignée, une scie à grosses dents, laquelle était très efficace pour un tel travail.

 

Après la sortie des blocs de glace, de l’eau, ces derniers étaient chargés dans un chariot sur patins (sleigh), lequel était tiré par des chevaux. Souvent, il fallait aller chercher cette glace près de l’embouchure de la Petite Rivière Yamachiche, où elle était plus épaisse, dû au niveau d’eau plus élevé; ce travail s’effectuait en corvée, soit un regroupement de deux, trois et même quatre pêcheurs et /ou bouchers, lesquels remplissaient les glacières à tour de rôle. Vers les années 1960, le camion a remplacé les chevaux, ce qui devenait plus rapide; la scie à chaîne a aussi fait son apparition.

 

Arrivé à la glacière, soit la partie de l’une des extrémités d’un bâtiment ( sorte de hangar ), sur une surface d’environ douze pieds par douze pieds, le premier rang était placé, en laissant un espace de plus ou moins dix-huit pouces entre le mur et le carré de glace dont les joints entre les blocs étaient bouchés avec de la neige compactée, ainsi que la surface de ce dit rang, afin de le souder avec l’autre à venir. Selon la hauteur des morceaux de glace, cinq à sept rangées étaient nécessaires et pour monter les blocs dans les plus hautes, il fallait les glisser sur des madriers en les agrippant avec des pinces à glace, lesquelles étaient attachées à un câble qu’on tirait d’en haut, avec la collaboration d’une paire ou deux de bras, poussant en bas. Lorsque le dernier rang de glace était complété, on refermait l’ouverture du mur avant avec des planches clouées afin de passer à l’étape finale, soit le remplissage de l’espace entre le mur et la glace avec du bran de scie, lequel provenait des scieries locales (moulin Lemire et moulin Garceau, entre autres).

 

Ce bran de scie devait être sec et bien foulé pour être efficace, soit servir d’isolant et après avoir rempli le tour du carré, on terminait par le dessus avec un minimum de deux pieds de cette sciure de bois. Isolée ainsi, la glace fondait lentement et entrée en fin février, elle était encore présente à la fin d’octobre et souvent même, en novembre, d’autant plus, que des morceaux étaient régulièrement sortis pour mettre dans les "coffres à poissons" pour le marché extérieur ( Trois-Rivières, Shawinigan, Grand-Mère ) ou pour vendre occasionnellement à un voisin.

 

La glacière était primordiale pour les bouchers et les pêcheurs commerciaux car il n’y avait pas d’autre façons de conserver la viande et le poisson, surtout avant la venue de l’électricité et des réfrigérateurs; autres temps, autres mœurs.

 

 

Dans les dernières années de la glacière ( années 1970 ),  les blocs de glace ont été remplacés par des rangs glacés d’un pied d’épaisseur, lesquels rangs prenaient forme avec un carré de quatre madriers de douze pouces de haut et rempli de neige foulée à laquelle on ajoutait de l’eau avec un boyau d’arrosage; une rangée de glace se créait en trois étapes de quatre pouces afin d’obtenir une glace de qualité. Dix rangs étaient suffisants pour toute une saison de pêche; de toute façon, il ne restait plus de neige dans les alentours pour continuer ( ce qui faisait "l’affaire" des voisins car ça déneigeait leur cour ). Par la suite, la chambre froide a pris la relève, jusqu’à aujourd’hui.