UN PHOQUE QUI EST PERDU EN MAUDIT

Article de Michel Bourassa

Vers 1990, au lac St-Pierre à Yamachiche, ma routine de pêcheur commercial me conduit à un des derniers filets de pêche pour la récolte du poisson et comme le niveau de l'eau est très bas, je dois m'y rendre à l'aviron.  À l'arrivée au verveux, je peste en voyant une bille de bois calcinée et polie par les vagues.

Mais en soulevant mon équipement de pêche, je me rends compte de la lourdeur de cette épave et en regardant de plus près, je constate qu'elle a une tête et une queue!  C'est assurément un phoque.  Je me hâte à embarquer le filet dans la chaloupe en souhaitant qu'il n'est pas mort, malgré la rareté de l'eau où il se trouvait couché, permettant au moins de l'humecter.

Il a les yeux clos et il ne bouge pas:  ce n'est pas rassurant et je crois qu'il ne s'en est pas tiré et que j'arrive trop tard.

Il faut que je le retire de la nasse et en le prenant par la queue, je sens de la chaleur et des nerfs qui bougent:  il vit!  Alors, je le tourne immédiatement sur le côté pour l'empêcher de mourir asphyxié et rendu hors de sa "prison", je lui ouvre une paupière pour voir un œil noir brillant qui me fixe; il joue bien son jeu en faisant le "mort".

Rassuré sur son sort, je glisse lentement ce phoque gris (d'un grisâtre plutôt foncé avec des taches noires, réparties sur le corps) vers le flanc de la barque, je prends ses nageoires-mains et je lui place la tête vers l'onde tout en mettant le centre de sa masse corporelle sur un genou pour enfin, le basculer dans son élément, soit l'eau.  Dès qu'il y plonge, il fait environ quinze mètres en nage de chien, se retourne en sortant la tête pour me regarder et ensuite, repart vers le grand large et l'est, soit vers le golfe du St-Laurent, d'où il vient. Comme première expérience avec un phoque, elle s'est très bien terminée; pendant cette période estivale, cinq phoques gris ont été signalés entre Montréal et Trois-Rivières dont trois dans la région de Pointe-du-Lac.

Un pêcheur commercial a déjà capturé un de ces phoques dans les années 1970 et il a eu très peur en le voyant, croyant voir flotter un corps humain, en remarquant sa tête en premier lieu; ça doit être traumatisant.