Des os sauvés des eaux

Deuxième partie

 

Rendu à la rivière, je me sens revivre et presque renaître car je réalise l'énorme chance d'avoir encore les yeux ouverts et même si je suis complètement trempé jusqu'aux os, je prends le temps de relaxer en conduisant lentement dans la pluie, devenue moins abondante mais toujours présente.  En passant dessous le dernier pont de l'autoroute 40, un fil électrique est rompu et pend au-dessus de la rivière, n'obstruant pas, heureusement, la circulation sur le cours d'eau; c'est un deuxième signe de la force de la tempête car, auparavant, dès mon entrée à la Petite rivière Yamachiche, un saule était affaissé à la rive ouest.

 

Tout semble normal dans la deuxième partie du parcours me menant au domicile, ne songeant pas que la tornade ait pu passer dans la Municipalité d'Yamachiche avant d'arriver au lac St-Pierre mais je constate que j'ai tort en tournant dans la courbe près de chez-moi.  En effet, dès que je vois l'auvent de la façade de la maison d'un de mes voisins, arraché et rendu sur la toiture, je m'inquiète pour ma propre demeure mais avant d'y arriver, je dois passer sous trois saules géants, cassés et tombés dans la rivière, avant d'accoster à mon terrain.

 

En grimpant la côte, quatre autres arbres ont trépassé face à ce sinistre naturel mais pour l'instant, ce n'est nullement important, car j'avais oublié une chose élémentaire sur la route du retour, soit de rassurer immédiatement ma famille sur mon état de santé car on savait que je travaillais sur le lac à cette période de la journée; je n'ai pas à attendre longtemps pour leur signaler ma présence car mon neveu et mon beau-frère accourent, paniqués mais rassurés dans un même temps, à ma vue.  Ils me racontent les dégâts que le vent et l'eau ont fait à plusieurs endroits au village et dans quelques rangs avec des antennes de télévision tordues, des toitures de maisons arrachées et même envolées, de nombreux arbres brisés, un poulailler écrasé, des fils électriques tombés, la tôle déroulée du toit d'une demeure, le kiosque de fruits avec la vendeuse emportés dans le champ et l'eau infiltrant les immeubles saccagés, toutes des réalités qui me renversent totalement, n'y croyant pas de prime abord, me faisant même oublier que je venais presque d'y laisser ma peau quelques minutes avant.

 

En me rendant souper au restaurant de la municipalité, je réalise l'importance des ravages et ayant de la difficulté à manger dû aux émotions fortes vécues, je peux quand même prendre un verre d'eau et deux excellents cafés avec crème, ce qui me réconforte quelque peu, incapable de verser quelques larmes, encore trop sous le choc à la pensée d'une mort certaine au plus fort de la tornade.  Mes amis constatent que j'ai le teint très pâle et les yeux apeurés, ce qui est le cas.  Jusqu'à ce jour, je ne connaissais pas vraiment la peur, ayant bravé toutes les températures et les situations critiques tout en les évaluant du mieux possible mais à partir d'aujourd'hui, surtout sur les eaux, la prudence va dorénavant être de mise, en me méfiant des nuages sournois, du vent imprévisible, des pluies fortes, des vagues impardonnables et surtout, des orages toujours omniprésents devenant parfois des tornades impitoyables.  Le lac St-Pierre ne sera pas toujours aussi magnanime à mon endroit et je dois en tenir compte tout en le remerciant de cette faveur inespérée.

 

Je vais pouvoir m'éviter ainsi plusieurs sueurs froides et conserver mes énergies et ma transpiration pour des occasions plus plaisantes comme la course à pied et si j'ai des larmes à verser, ce seront des larmes de satisfaction pour avoir accompli quelque chose et non pour avoir à lutter contre une situation mettant encore une fois ma vie en péril.

 

Une étendue d'eau d'une telle immensité comme celle du lac St-Pierre, lorsqu'elle se déchaîne, est indomptable et est reine et maîtresse en créant sa propre loi.  L'unique solution pour l'homme est de se résigner et de la laisser dominer, sage décision pour pouvoir plutôt la connaître sous ses plus beaux jours lorsqu'elle est calme et docile.  Maintenant à la retraite, il me sera encore plus agréable de côtoyer ce lac où la vie animale et la diversité existent en harmonie à chaque jour que la Providence amène.

 

Que ce soit en embarcation-moteur, en canot ou en kayak lors de la saison estivale ou, en véhicule tout-terrain, à pied, en camion, en motoneige, en skis de fond ou en raquettes pendant l'hiver, cette surface liquide, empruntant tour à tour les visages de l'eau, de la glace et de la neige au cours des saisons, mérite qu'on reconnaisse sa valeur inestimable pour toutes les formes de vie qui l'habitent.

 

L'une des plus grandes richesses des dernières années du lac St-Pierre est sans contredit sa faune aviaire avec les nombreuses espèces d'oiseaux fréquentant ses eaux et ses herbiers, tant aquatiques que terrestres.  Cette vie ailée attire sur ses rives des centaines d'observateurs de toutes les régions du Québec afin d'apprécier les fougueuses poursuites nuptiales, les nombreux et variés vols dans l'élégance et la vitesse, les chants mélodieux pour le plaisir de l'ouïe, les fréquents plongeons des plus spectaculaires et parfois téméraires, les occasionnelles batailles de possession territoriale et aussi, par le fait même, communier avec la beauté et le silence présents en ces lieux de prédilections.

 

Nul doute, la chance de posséder un tel joyau à sa porte demande une protection de tous les instants afin d'empêcher que des indésirables n'altèrent à jamais ces eaux aux multiples fonctions biologiques et écologiques et les générations à venir nous remercieront de ce geste essentiel et surtout concret.

 

Il est triste de constater l'ignorance de plusieurs gens de la localité et de la région immédiate de Yamachiche sur l'existence et, ce qui est encore plus important, sur l'accessibilité à cette nappe d'eau qu'est le lac St-Pierre.  Il est très intéressant et très reposant de se trouver près de ses rives par une journée ensoleillée en face de cet impressionnant miroir aux reflets éblouissants, résultat des rayons de l'astre d'or qui le frappent.  Que dire de son immensité lorsqu'on regarde le grand large avec les cargos de marchandises qui empruntent la voie maritime en son centre, croyant, pour quelques instants, être sur une des plages des mers chaudes; le dépaysement est total quand on visite ce lieu paradisiaque pour la première fois et encore plus marquant quand c'est le hasard qui nous y mène.

 

Les instances gouvernementales québécoises ont un projet intéressant de sentiers pédestres et d'une passerelle à l'extrémité de la "Petite baie" Yamachiche afin de faciliter l'accès à cette merveille naturelle et tous les amants de la nature qui fréquentent l'environnement du lac St-Pierre pour l'observation d'oiseaux, pour la marche, pour l'appréciation de la faune et de la flore ou pour tout simplement le bronzage, se réjouissent de cette initiative pour le plaisir des sens de tous et chacun.