UN COPAIN DE TRAVAIL

Article de Michel Bourassa

 

Quelques années avant de devenir un maniaque de l'observation des oiseaux, une expérience très enrichissante s'est déroulée pendant une dizaine de jours, jusqu'à l'ouverture de la saison de chasse aux oiseaux migrateurs et la voici:

 

J'arrive, comme à l'habitude, sur mon site de pêche commerciale et je hisse le premier filet de pêche dans la chaloupe pour retirer les poissons capturés et pour rejeter à l'eau ceux que je ne conserve pas pour la vente. Après avoir vidé trois ou quatre verveux de leur contenu respectif, je remarque furtivement un Plongeon huard à environ deux cents mètres plus au large du lac, mais ça me laisse indifférent: je continue donc mon travail.

 

Mais deux ou trois filets plus loin, la situation change quelque peu, car le Plongeon huard s'est sensiblement rapproché et il est déjà à vingt mètres environ en face de moi; il m'a probablement vu jeter les poissons par-dessus bord et ça l'intéresse ou, il est tout simplement curieux. J'avironne jusqu'à l'autre nasse pour ne pas l'effaroucher et j'attache l'embarcation pour travailler; en débutant le rejet des poissons, à ma grande surprise, le Plongeon huard me fait face et attend une proie affaiblie, soit un poisson moins vigoureux pour satisfaire sa faim: et c'est exactement cela qui arrive lorsque je lui en lance un à l'article de la mort, car il le gobe et l'avale d'un seul trait. Pour les quatre ou cinq derniers filets de pêche, mon compagnon du jour se fait un devoir de nager à plus ou moins deux mètres de la barque: il est insatiable; il me faut l'abandonner lorsque la ronde est complétée.

 

Deux jours plus tard, dès le début de mon rituel de cueillette, le fameux huard apparaît à l'arrière de ma chaloupe et semble impatient, en nageant de gauche à droite à plusieurs reprises et, dès le premier tir à l'eau, il attrape le '' condamné à mort '' et se prépare à en recevoir un autre en me regardant; probablement que ses pêches en solitaire ont été infructueuses. Deux heures durant, il me suit partout en se permettant même de plonger en-dessous de l'embarcation pour apparaître de l'autre côté; il se gave amplement.

 

Le surlendemain, je me dis qu'il est sûrement au rendez-vous et j'ai raison; dès que je pose le câble à la perche maîtresse, il se présente à quelques mètres du flanc gauche de la barque et il semble très à l'aise. Comme à l'occasion précédente, il mange et mange encore sans se lasser et prend même le temps de plonger et de nager au centre de la croix, formée par l'installation de ma perche de verveux avec la perche maîtresse: quel spectacle ! Il est devenu mon copain de travail, mais par contre, j'ai peur qu'il se noie en entrant dans une des nasses.

 

Heureusement, ça ne se produit pas mais, à partir de l'ouverture de la saison de chasse, je ne le vois plus; a-t-il été tiré par un chasseur et il est mort ou, a-t-il simplement préféré partir avant de vivre une telle fin ( sic ) ? J'aurais aimé continuer l'expérience avec ce Plongeon huard pour savoir jusqu'où cette complicité aurait mené mais ce n'est plus possible.

 

J'ai au moins un espoir qu'il soit encore vivant car la rumeur circule qu'il est presque impossible de tuer un Plongeon huard au fusil car il est trop intelligent et ça, je le crois avec les démonstrations de finesse et d'habileté d'un congénère lors de ses jours d'accompagnement très appréciés.