LA BATAILLE DES BEDAINES, SANS DRAME

Article de Michel Bourassa

 

Une version locale et animale de la fameuse bataille des Plaines d'Abraham s'est déroulée dans la cour arrière et les champs entourant mon domicile, à l'époque (début 1990) inhabités et surtout déserts.  Le tout débute après le repas du midi, sous un ciel nuageux, avec l'arrivée de sept Perdrix grises dessous les mangeoires de maïs concassé, picorant avec appétit et dans une quiétude de tous les instants mais ça ne durera pas, même si elles sont des habituées des lieux.

En effet, je vois au loin, un autre groupe de Perdrix grises, celui-ci beaucoup plus imposant, soit vingt-cinq membres bien comptés, s'avançant lentement mais sûrement dans une neige épaisse et molle due à la tempête de la veille et s'orientant, elles aussi, vers les mangeoires.  Lorsque les sept perdrix aux mangeoires sont dans le champ de vision du chef de la troupe, il s'immobilise, se retourne vers les autres, lesquelles demeurent sur place, à mi-corps dans la neige, au sous-bois qu'elles ont emprunté dans leur progression, tout en laissant avancer seul le mâle dominant; l'inévitable se prépare, soit la confrontation car, au même moment, le mâle des sept se rend compte de leur présence et par quelques cris stridents d'alerte, il ordonne aux six autres congénères de s'enneiger jusqu'au cou:  c'est captivant comme situation.

Le chef des vingt-cinq s'amène à toute allure et s'arrête brusquement, face à son homologue, attendant patiemment un geste, tout en vociférant des menaces par des cris répétés et puissants, ce que l'adversaire imite et, les deux avancent l'un vers l'autre, presque en même temps, tout en tournant et s'intimidant, la bedaine à l'avant et feignant des coups de bec au corps et soudain, le chef des vingt-cinq fonce sur le dominant des sept et c'est parti:  quelques coups ventre à ventre, sans conséquence, mêlés de sauts avec ailes ouvertes et tout à coup, le mâle dominant des sept décide de s'enfuir en contournant le coin droit de la maison avec l'autre à sa poursuite.

Ce combat de pouvoir dure au moins quinze minutes par plusieurs allers et retours autour du domicile, en passant entre les groupes de perdrix, en attente de la fin des hostilités.  D'une fenêtre à l'autre, j'assiste à cette querelle qui connaît enfin son dénouement par l'abandon du mâle des sept, lequel va rejoindre les six membres de sa famille pour quitter rapidement la cour pendant que le gagnant, le chef du groupe des vingt-cinq, lance un cri les invitant à s'approcher des mangeoires pour s'alimenter dans le calme, depuis peu, revenu.

Cette bataille a eu au moins un avantage sur celle des Plaines d'Abraham, c'est qu'il n'y a pas eu d'effusions de sang et encore moins, de morts; très très intéressant en tant que spectateur.  La paix s'installe dans les jours suivants car la troupe des sept vient manger à la levée du jour et celle des vingt-cinq, vers l'heure du midi, à la satisfaction de toutes les Perdrix grises.