Vivre sa
passion jusqu’à la fin
Le présent sujet dépasse énormément le monde de
l’ornithologie parce qu’il touche l’essence même de la raison de vivre en
chacun de nous, quelque soit le domaine où nous œuvrons et ce, souvent avec
passion. Il m’a été assez difficile de vivre le moment particulier qui va être décrit et c’est pourquoi il n’y aura
pas de municipalité, de date précise et de nom mentionnés car ça n’a pas
d’importance et c’est aussi pour démontrer un énorme respect pour la grande
qualité humaine de l’individu concerné. Maintenant, entrons dans le vif du
sujet.
Par un bel après-midi d’un début d’été assez venteux,
je longe la Grande rivière Yamachiche en vélo et à
mi-chemin de la pointe Yamachiche, plusieurs observateurs
d’oiseaux me devancent et en me rapprochant d’eux, j’en remarque trois qui sont
en retrait et qui s’arrêtent soudainement, pour en voir un s’asseoir, semblant
être mal-en-point comme s’il était en mauvaise condition physique ou même
malade. En passant près du trio, je ne peux m’empêcher de me faire la réflexion
suivante : c’est presque
irresponsable d’emmener une personne diminuée physiquement à un tel
endroit et lui faire marcher plus d’un kilomètre dans un chemin cahoteux. À
tout événement, je poursuis ma route jusqu’à
la « pointe » et je rattrape le groupe le plus imposant ( environ dix
observateurs ) tout en laissant ma
bicyclette afin de les accompagner à pied et échanger avec eux.
Déjà à quelques mètres de notre but, j’ai à peine eu
le temps d’expliquer que ce n’est pas la meilleure période de l’année pour
observer les limicoles d’autant plus que
le niveau du lac Saint-Pierre est plus élevé que la normale, recouvrant
la plage, qu’un des membres du club d’ornithologie venant d’une région éloignée
m’informe de la raison exacte de leur visite. Cette sortie
aux oiseaux de rivage à la pointe Yamachiche était
prévue par le club pour un peu plus tard dans la saison, mais elle a dû se
faire plus tôt, à la demande insistante
d’un membre, lequel est atteint d’une maladie incurable et lequel craignait
être incapable de faire le long trajet en auto, de sa région à Yamachiche et
surtout, de se rendre à pied jusqu’à la «
pointe ».
Ayant dû laisser un poste important dans le conseil
d’administration de son club à cause de sa maladie, il avait déjà l’intention
dans un avenir rapproché de visiter la
pointe Yamachiche; mais il a dû devancer ce
souhait qui ne se serait probablement jamais réalisé dû à la fatalité.
L’individu qui me parle dit que ce n’est pas trop important même si leur ami affaibli voit peu d’espèces
de limicoles car, ce qu’il désirait le plus, c’était de connaître
l’environnement de la pointe Yamachiche, ayant
tellement entendu parler de ce lieu
réputé pour l’observation des oiseaux de rivage. Ce passionné des êtres ailés
aura au moins l’occasion d’apercevoir quelques bécasseaux, chevaliers et pluviers, lesquels sont sur place dans un
espace restreint tout en se faisant arroser par les fortes vagues du lac.
Déjà
ébranlé par la
nouvelle et comme il
n’y a pas
une grande activité
aviaire, je souhaite
bonne chance aux
observateurs et je
reprends la route
en croisant dans
les premières secondes
le courageux ornithologue
amateur, lequel semble
épuisé, mais heureusement rendu
à son but
rêvé, la pointe
Yamachiche;
sa passion l’a
emporté sur son mal ( probablement
le cancer, mot
jamais prononcé par
ses amis, car
ça fait peur ).
Moi-même
passionné des oiseaux,
j’ai appris une excellente leçon
de cet homme
déterminé, soit celle
de vivre sa
passion jusqu’à la
fin, si possible, même
si c’est dans
la douleur car
la satisfaction est
sûrement au rendez-vous
dans un tel
moment, tout comme
au fil d’arrivée
d’un marathon. Certains disent
« Voir Venise et
mourir » ( l’expression
originale est « Ah!, voir
Naples, y mourir » ) et c’est faire
allusion à l’accomplissement souhaité
d’un désir dont
la réalisation nous
semble tellement nécessaire
et suffisante, qu’au delà , la
vie perd tout
son sens; c’est
un peu de
cette façon que
notre observateur de
la région éloignée
a pensé afin
de réaliser son
vœu en se
présentant à la
pointe Yamachiche. C’est
un exemple de
courage qui devrait
servir à chacun
de nous.