PAUVRE PISSENLIT

 

                                           Texte de Michel Bourassa

 

 Toi, fleur sauvage à floraison indéfinie, tu n’es pas née sur la bonne planète, puisque la majorité des gens veulent t’éliminer sans même te donner la moindre chance de te justifier. C’est pourquoi aujourd’hui, je vais tenter de te donner quelques lettres de noblesse en devenant ton avocat.

 

              Pourquoi s’acharne-t-on à chaque printemps que la vie amène à pulvériser la pelouse, ce avant même que tu montres la moindre feuille de ton plant? Pourtant, tu n’es pas nocif pour la santé, car au contraire, tes dites feuilles sont un délice en salade pour ceux qui connaissent la réelle valeur de ton plant. Toi et tes innombrables confrères qui occupent chaque espace vert des villes et campagnes pendant tout au plus quelques semaines du début des jours chauds, savez survivre aux premières coupes de gazon et ainsi continuer à enjoliver chaque parterre de vos fleurs de leur jaune des plus purs, ce en reconnaissance de la tolérance du propriétaire, lequel refuse la pollution de son environnement et accepte votre présence temporaire. Quant à ceux qui luttent sans cesse contre vous, ils se privent de certains privilèges.

 

              En effet, car chaque terrain de verdure entretenu voit régulièrement un amoureux cueillir vos fleurs une à une, pour les offrir en bouquet à sa dulcinée, ou encore, un enfant s’agenouiller à vos pieds et ramasser maladroitement, mais délicatement ces mêmes médaillons jaunes de chaque tige, ce afin de les offrir tendrement et fièrement à sa mère : ces petits mais précieux cadeaux naturels de votre part n’ont pas de prix et valent bien quelques jours de réprimandes des voisins, ces intolérants! À chaque passage de la tondeuse, vous enrichissez le sol que vous occupez, rendant ainsi la pelouse plus forte, donc plus en santé : ce n’est pas rien!

 

            La hantise de posséder une pelouse sans tache, soit sans autre chose que de l’herbe courte, la rendant souvent fragile, entre en contradiction avec le fait que plusieurs achètent à des prix, souvent exagérés, des fleurs pour leurs plates-bandes : c’est supposé être plus beau, car on paie! Toi, pauvre pissenlit, même si tu offres tes services gratuitement, tu es rejeté et souvent mis à mort, car tu n’as pas le moindre titre de noblesse. Pourtant, tu contribues aussi à nourrir les invertébrés et les insectes, lesquels ont besoin de nectar pour survivre et comme fleur sauvage, tu es ravie de leur rendre ce service des plus naturels. Parfois, je me mets à penser que toi pissenlit, tu ressembles au francophone dans le Canada, soit que l’on souhaite ardemment que tu disparaisses, mais en vain, car tu reviendras inconditionnellement à chaque saison printanière; quant au francophone, lui, il va disparaître, car ses racines s’affaiblissent continuellement.

 

           Pissenlit, tu mérites amplement ta place sur notre pelouse et sois-en fier!