LES LEURRES NATURELS
Article de Michel Bourassa
Chaque
observateur d’oiseaux qui se respecte a connu au moins une mésaventure
qui concerne une mauvaise identification causée, soit par la
rapidité de l’évaluation d’un spécimen, soit par
la distance, soit par la visibilité altérée par la
lumière du jour, soit par le soleil qui change les couleurs d’un
oiseau ou soit par la forme d’un quelconque objet éloigné,
souvent mal placé ou un peu camouflé. Le cas de l’objet
éloigné prend toutes les formes, tous les matériaux et
tous les endroits possibles, comme un piquet devenant un Harfang des neiges au
sol, une tige de fer se transformant en Bernache du Canada, un sac blanc de
plastique ressemblant à une Oie des neiges et une pomme gelée
dans l’arbre imitant la poitrine du Merle d’Amérique.
Dans un
tel moment, la frustration se met de la partie et souvent, même une
lunette d’approche ne parvient pas à solutionner
l’énigme et à permettre de placer un nom sur
l’espèce d’oiseau en avant de nous, ce, avec raison,
puisqu’il n’y en a pas!
Une des plus fréquentes situations à se présenter est un
possible individu aviaire sur un tronc d’arbre échoué ou
perché dans un arbre, à l’extrémité
d’une branche cassée; un échassier apparaît
normalement sur le tronc allongé, étant, en
réalité, seulement une branche brisée ayant cette forme
aviaire, et dans un arbre, au fond d’un champ, c’est plutôt
la vue d’un rapace qui se trouve au bout de la masse ligneuse,
correspondant plutôt à la cassure travaillée par les
intempéries et ressemblant au corps d’un tel oiseau :
l’éloignement est la cause principale d’une telle
méprise pour chaque cas.
Qui n’a
pas été trompé à ses premières armes dans
l’ornithologie en voyant un hibou sur le toit d’une grange,
d’une maison ou d’un silo? Très peu, et avec raison, car le
fait d’avoir un tel spécimen dans les jumelles excite tout
observateur, surtout un débutant; rapidement, en approchant de
l’espèce enviée, il est facile de reconnaître un
« effaroucheur » en plastique, lequel perd son
efficacité en très peu de temps, souvent utilisé pour
éloigner les pigeons, ces
derniers s’habituant à cette forme inerte. L’automne devient
une période propice aux formes bizarres émanant de la
végétation qui se dégrade graduellement avec les nuits de
plus en plus froides, surtout dans les marais; souvent, une tête
d’oiseau semble trôner à la cime d’une tige de jonc ou
l’équivalent, tracassant le plus érudit des ornithologues,
l’obligeant parfois à se déplacer inutilement sur une
longue distance, ce, afin d’en avoir le cœur net.
Un objet qui
flotte sur l’eau peut porter à confusion, lequel prend souvent
l’apparence d’un canard, d’un plongeon ou de tout autre
oiseau aquatique, mais il est nécessaire de toujours vérifier
celui-ci, car une rareté de la gent ailée peut se laisser
dériver à tout moment de l’année. Les appelants
d’oiseaux migrateurs, comme des canards et des oies en plastique ou en
bois, lors de la chasse d’automne, trompent les recenseurs
d’oiseaux dans les premiers jours, lesquels oublient souvent le
début de cette activité récréative tout en leur
rappelant que la prudence est de mise sur ces lieux de chasse. Le bourdon peut
lui aussi confondre un ornithologue amateur, surtout si ledit bourdon passe
à la vitesse de l’éclair, car il emprunte l’apparence
du Colibri à gorge rubis dans son passage; à la fin de la
journée, il faut se méfier de la chauve-souris qui peut se
comporter comme le Martinet ramoneur.
L’observateur orgueilleux n’aime pas se trouver dans une des
situations ci-haut et ne se vante surtout pas d’en avoir vécu une,
mais il arrive qu’il se fait trahir par un ami!… À
l’heure d’un leurre, il est tout naturel d’en rire et de le
partager avec les autres, le tout dans la bonne humeur.