DES MORTS LENTES EN DIRECT
Article de Michel Bourassa
Dans
les dernières années de la décennie 1990, les chauds mois
de l’été amenaient la mort à l’embouchure de
la Petite rivière Yamachiche et ce, à
quelques mètres seulement à la rive ouest du canal de cette
rivière menant au lac Saint-Pierre. Cette mortalité
particulière concernait quelques espèces de canards, souvent des
barboteurs; la scène se déroulait toujours au même endroit,
avec un acteur différent, mais au dénouement des plus semblables.
En effet,
lors de ma sortie en chaloupe du fameux cours d’eau tellement
apprécié par les canards, pendant certains jours de canicule, il
était assez fréquent d’apercevoir un de ces
palmipèdes couché à l’orée des joncs et des
scirpes, semblant tout bonnement faire une bonne sieste à l’heure
du midi; après une brève réflexion, cette inhabituelle
attitude ne corroborait pas à la crainte instinctive de ces oiseaux
aquatiques envers l’humain et les jours suivants ne feront que confirmer
cet état de fait. Le passage du lendemain à proximité du
canard annonçait une anomalie assez grave, soit une maladie, une
blessure ou pire encore, un empoisonnement alimentaire et cette dernière
probabilité devenait la plus plausible, face à la non tentative
de fuite de l’oiseau lors d’une de mes approches; mais cet
empoisonnement n’était pas n’importe lequel!
Les barboteurs,
ayant l’habitude de se nourrir à mince d’eau dans le fond de
toute baie, trouvaient dans leur bouffe des plombs de balles de fusil de la
saison automnale précédente, ce lors de la période de la
chasse. Une fois avalés, ces plombs devenaient un lent poison menant
directement à la mort tout canard et cette lenteur pouvait se prolonger
jusqu’à quatre jours; le temps plus ou moins long avant le
trépas dépendait de la rapidité avec laquelle les plombs
se désagrégeaient dans le système digestif : un
interminable calvaire pour chacun des individus irrémédiablement
condamné. Le premier jour, le canard paraissait normal, couché et
se tenant la tête droite; au deuxième, la tête penchait vers
l’avant, commençant à avoir des yeux moins vifs; souvent au
troisième, les forces diminuant, le bec touchait le sol pour donner un
appui au corps devenu trop lourd tout en ayant les paupières presque
fermées et ainsi voir arriver la mort à brève
échéance, ne pouvant pas se rendre au quatrième : la
délivrance était enfin arrivée.
Dans la
même saison estivale, j’ai vu mourir en moins d’un mois, un
Canard colvert, un Canard souchet, un Canard noir et une Sarcelle
d’hiver, tous de la manière décrite plus haut, ce qui
était toujours difficile à regarder. Autour des années
2000, une réglementation a interdit l’utilisation des cartouches
avec des plombs, remplaçant ceux-ci par des billes d’acier,
lesquelles étant jugées sécuritaires pour la santé
des canards lors d’une ingestion. En parlant de plomb, la mort de
quelques Plongeons huards entre 1990 et 1995 au Québec, directement reliée
avec l’ingestion de pesées de pêche en plomb, a
alerté les instances environnementales afin de surveiller attentivement
ce problème; la situation a dû être contrôlée,
car depuis ce temps, ça n’a plus été
mentionné.