LA MORT DE FRANKLIN
Article de Michel Bourassa
L’avant-midi du 12 juillet 2003 deviendra, sans qu’on le
sache, une journée mémorable pour plusieurs observateurs
d’oiseaux, non pas particulièrement pour l’espèce
retracée, mais plutôt pour la longueur de la période
passée par cette dernière à Pointe-Yamachiche,
car c’est à ce site que la découverte est faite et ce
spécimen se nomme Mouette de Franklin. Cette mouette, qui se fait
attendre pratiquement à chaque année, se pose doucement à
la plage de la dite « pointe » et elle correspond
à une immature de premier été; elle se permet quelques
déplacements, sans plus, se contentant de voler très bas et sur
de courtes distances, ce au-dessus des goélands et des limicoles
présents.
Habituellement sur place pour seulement quelques heures, ou même
pour quelques minutes, les ornithologues chanceux du moment savourent ce
recensement, car ils croient tous que cette mouette de Franklin ne sera
sûrement pas au rendez-vous lors de leur prochaine visite à Pointe-Yamachiche. Mais, dès le lendemain, la vedette de la
veille est sur les lieux et retirée à l’autre versant de la
rivière, à la partie est, soit entre les broussailles et la rive
du lac Saint-Pierre, sur une lisière de terre sablonneuse : cette
attitude est inhabituelle pour cette espèce de mouette, surtout
qu’elle semble vouloir s’isoler et même se protéger
d’un potentiel prédateur; la réponse va bientôt
venir. En effet, lors d’un de ses vols en rase-motte, le laridé semble manquer de puissance dans ses
battements d’ailes et se laisse descendre au sol, à la rive; le problème vient de l’aile
gauche, laquelle est probablement blessée; très mauvaise nouvelle
pour cette mouette, si tel est le cas, car sa vie va être brève.
Les jours suivants vont confirmer cette appréhension et dans son
état précaire, la mouette de Franklin a beaucoup de
difficulté pour se nourrir, situation qui va la conduire lentement vers
un amaigrissement l’affaiblissant considérablement. Les
observateurs se demandent combien de temps « notre
handicapée » va survivre, face à la faim et aux
prédateurs, comme le Faucon émerillon, actuellement
présent dans le secteur : quelques heures, quelques jours,
c’est une question de peu de temps. Après dix jours
déjà, tous le monde est habitué à sa
présence et l’on oublie presque sa blessure, même si elle se
cache de plus en plus et espace ses incursions à la plage, parmi les
autres oiseaux d’eau; ayant réussi à déjouer
l’omniprésence des dangers, elle se rend jusqu’au 25
juillet, sans encombres.
Depuis son arrivée, soit le 12 juillet, plusieurs
spécimens intéressants ont fréquenté
l’environnement de la mouette en mode survie, dont un Harle huppé,
un Balbuzard pêcheur, quatre Bécasseaux à échasses,
trois Sternes caspiennes, deux Mouettes pygmées, un Pygargue à
tête blanche, deux Plongeons huards, un Ibis falcinelle,
une Grande Aigrette, deux Bécassins à
long bec, deux Bécassins roux, quatre
Tournepierres à collier, un Coulicou à bec noir et quatre
Mouettes de Bonaparte. Plusieurs ornithologues amateurs ont
apprécié recenser cette Mouette de Franklin, tout en
découvrant, pour certains, Pointe-Yamachiche
et y faisant même des trouvailles comme des premiers oisaux
à vie; la mouette va se rendre jusqu’au 30 juillet et
d’autres oiseaux aimés de tous ont défilé
près d’elle, soit un Bihoreau gris, un Héron vert, deux Bécassins roux (hendersoni),
une Mouette atricille (belle surprise), deux
Phalaropes à bec étroit, un Bécasseau maubèche et
un Faucon pèlerin. Comme une vieille amie, nous comptons tous sur sa
présence, le 31 juillet 2003 au matin, afin de la côtoyer à
nouveau, mais elle tarde à se montrer les plumes, devenant même un
peu inquiétant vers la fin de l’avant-midi, lorsque deux
observatrices d’Oka tentent leur chance, pensant que ladite Mouette de
Franklin n’était plus sur le site lors des derniers jours, au cas
justement de la voir en ce 31 juillet.
En
cherchant minutieusement, avec les deux dames, une très mauvaise
nouvelle les attendait : elles allaient voir la mouette convoitée,
mais morte et en plus, seulement la carcasse. Je venais de trouver un tas de
plumes près d’une petite touffe de joncs, à l’autre
rive de la rivière, le squelette de la Mouette de Franklin sur le dos,
avec les pattes relevées comme les mains jointes d’un corps
décédé; est-ce que le coupable se trouve entre le Faucon
pèlerin des derniers jours et l’habitué Faucon
émerillon du site, ou si un autre rapace s’est permis un repas
avec cette proie facile lors d’un passage impromptu?
Cette
triste fin était à prévoir, mais inévitable;
plusieurs ornithologues amateurs ont pu au moins l’admirer avant sa
disparition.