ESCLAVES NOIRS ET ESCLAVES BLANCS

 

Article de Michel Bourassa

 

 

          En Chine, dans la région de Yunnan, au lac Eir et ce, près de Dahli, et dans la région de Guanxi, à la rivière Li, les pêcheurs commerciaux ont opté aux deux endroits, la même stratégie de pêche et celle-ci est tout particulièrement originale, même si au premier abord, elle semble cruelle.

 

           En effet, chacun de ces pêcheurs se retrouve sur l’eau avec une pirogue, laquelle possède à son bord une dizaine de cormorans, tous attachés par une des pattes et juchés sur le ou les flancs de l’embarcation et dont leur cou est lié à la base afin d’obstruer la gorge, les empêchant d’avaler. Après les avoir envoyés pêcher dans les eaux du lac, les propriétaires de ces efficaces chasseurs de poissons les ramènent dans la barque après un certain laps de temps pour récupérer la ou les captures en pressant le bas du cou et ainsi, bénéficier de cette méthode de pêche; de temps en temps, chaque cormoran a droit à une petite récompense et c’est réellement le cas, car le pêcheur lui donne la plus petite de ses prises et ça semble le satisfaire : c’est une main-d’œuvre à très bon marché, mais il n’est pas certain que les cormorans apprécient ce travail. C’est tout simplement de l’esclavage et les cormorans en sont les victimes en devenant des esclaves noirs.

 

             En Asie, il y a aussi sur plusieurs cours d’eau, des pêcheurs qui se servent de cormorans (surtout des Grands Cormorans) pour capturer du poisson, et ce, souvent en radeau; une variante pour bloquer la gorge du cormoran est de poser un collet à la base de cette dite gorge, ne laissant passer que les petits poissons, ce, à la satisfaction des deux partis.  

 

             Au lac Saint-Pierre, il y a aussi des cormorans, mais la situation est complètement à l’opposé de celle de certains plans d’eau de la Chine et de l’Asie, car les esclaves ne sont pas les mêmes. Les Cormorans à aigrettes, ayant été surprotégés, surtout depuis le milieu des années 1990, ont pris le contrôle sur le lac Saint-Pierre avec l’augmentation de leur population et avec leur redoutable excellence dans la façon de pêcher; en effet, lorsqu’ils se rassemblent par quelques milliers dans les baies peu profondes, ces spécialistes oiseaux aquatiques noirs déciment tout banc de poissons à leur portée, baissant ainsi considérablement la population de certaines espèces de poisson, dont la Perchaude (une étude sérieuse donne comme statistique de prédation, 70 tonnes par année, ce, capturées par les Cormorans à aigrettes. En perdant le contrôle sur les cormorans, les autorités gérant la pêche commerciale se sont rabattues sur les pêcheurs commerciaux et sur les pêcheurs sportifs : c’était plus facile de pénaliser des travailleurs pêcheurs commerciaux, d’autant plus que l’on avait l’appui des pêcheurs sportifs, dont plusieurs d’entre eux (la moitié, selon les propres dires d’un pourvoyeur) vendaient leurs captures de la Perchaude, devenant automatiquement en flagrant conflit d’intérêts.

 

               Aujourd’hui, même si l’on a compris qu’il faut continuellement surveiller le nombre de Cormorans à aigrettes au lac Saint-Pierre, le mal est déjà fait, car il ne reste que six pêcheurs commerciaux sur le lac sur les quarante-deux d’il y a dix ans; ils ont tous été sacrifiés sur l’autel de l’incompétence ou de la cupidité (selon le groupe impliqué): il aurait été tellement facile de collaborer et de s’entendre, mais la bonne volonté des autres partis était totalement absente. Ce qui est encore pire, on se prépare à éliminer la pêche commerciale au lac Saint-Pierre, devant réjouir les bourreaux des derniers six pêcheurs commerciaux, étant les derniers vestiges d’esclaves blancs d’un métier qui n’a jamais, malheureusement, été respecté, comme si ceux qui le pratiquaient étaient tous des criminels dont il fallait absolument se débarrasser.

 

               À bien y penser, les cormorans du lac Saint-Pierre ont été, sont et seront toujours mieux traités que les pêcheurs commerciaux, car ces oiseaux vont continuer à pêcher, ce qui ne sera éventuellement plus le cas pour lesdits pêcheurs; même les cormorans de la Chine et de l’Asie vont conserver leur emploi dans la pêche commerciale, métier qui, bientôt, n’existera plus au lac Saint-Pierre. Ironique quand même!, les esclaves noirs auront survécu devant la clémence des pêcheurs chinois et asiatiques, mais les esclaves blancs pêcheurs commerciaux du Québec auront disparu au profit des privilégiés cormorans prédateurs : c’est ça que l’on appelle le monde à l’envers.