LE CAP SAUVEUR

 

            Très souvent, il y a des situations, des lieux, des exploits, des gens et des noms qui vont presque complètement passer incognito dans une municipalité parce que très peu de personnes vont en être au courant, d’autant plus que la plupart du temps, ces dernières appartiennent à un groupe en particulier, pour devenir automatiquement un cercle fermé.  Le cas qui va être mentionné ci-dessous en est un exemple typique et il vous est immédiatement livré.

 

            La première fois que j’ai entendu l’expression « Cap Sauveur » fut dans le milieu des années 1950, mais je n’y ai pas porté attention plus qu’il ne le fallait, car j’étais trop jeune et en plus, je la trouvais normale dans ce milieu de pêcheurs commerciaux où régnait un langage très particulier, mêlé de mots anglais, et souvent coloré. En vieillissant, j’ai su que la fameuse consonance « cast over » qui sortait de la bouche de mon père et des autres pêcheurs et que je croyais être de l’anglais, était, en réalité, tout simplement « Cap Sauveur », pour signifier le dos d’âne en terre à la sortie de la Petite rivière Yamachiche, au côté est et lequel dos provenait du creusage de l’embouchure de ce cours d’eau lors des travaux exécutés par le gouvernement fédéral afin de l’entretenir pour la circulation des barges se rendant au village de la municipalité de Yamachiche.

 

           L’origine de l’expression « Cap Sauveur » m’est complètement inconnue, mais par contre, j’ai connu rapidement l’utilité de cette bordure de terre glaiseuse fabriquée, car les pêcheurs commerciaux de Yamachiche en ont largement tiré avantage par des captures substantielles d’anguilles, de barbottes, de perchaudes et de dorés en installant des filets de pêche à sa proximité, laquelle opération ne laissait pratiquement pas de chance à ces espèces qui s’y aventuraient. Cet endroit providentiel a gardé son identité presque intacte jusqu’à la fin des années 1980, pour commencer à changer assez rapidement de visage dans le début de la décennie 1990 et le perdre complètement à la fin ce cette même décennie en disparaissant, ce, dû aux années successives d’eaux basses, permettant au sable et à la vase venant du large et de l’érosion de la  « petite rivière » de former une plage de plus en plus grande, au fil des ans.

 

          Dès les premières années 2000, les tiges de saules, d’érables, d’aulnes et de frênes, en particulier, en plus de plusieurs espèces de plantes aquatiques, se sont toutes emparées de ce site propice pour leur propagation et aujourd’hui, c’est devenu un prolongement du boisé entre la Petite rivière Yamachiche et la « petite anse », actuellement un bois clair; ce dernier se confondra rapidement avec ledit boisé mature, auparavant, ayant eu le  « Cap Sauveur » comme limite, lequel cap est déjà tombé dans l’oubli, si oubli il y a, car il n’a jamais été réellement connu. Sa lente mort a commencé aussi loin que le début des années 1960 avec l’abandon du creusage le l’embouchure de la Petite rivière Yamachiche par le gouvernement fédéral; le gouvernement provincial n’a jamais pris la relève, considérant l’inutilité de cette opération environnementale.

 

          Cette décision était surtout basée sur la fin de la circulation des barges dans la rivière, depuis déjà quelques années, et par la suite, sur la disparition des chalets de la « petite rivière » avec la construction de l’autoroute 40 dans les années 1970. C’est ainsi que le « Cap Sauveur » s’est vu abandonné à son sort et n’a pu être sauvé, malgré son nom (dont son origine n’est toujours pas connue) : ironique, quand même!