MISSION RÉUSSIE POUR ARBRE ÉCHOUÉ

 

         Au printemps 2009, un vénérable érable adulte a établi ses quartiers d’été dans la « petite baie » Yamachiche en venant s’y échouer et ce, à proximité des rives de la Petite rivière Yamachiche. Cet arbre géant a probablement été déraciné de sa terre natale par l’affaissement d’une partie de côte d’un des affluents se jetant dans le lac Saint-Pierre, car en perdant pied de celle-ci, ses dernières radicelles de vie se sont arrachées du sol pour suivre son corps dans le tumulte des courants de la crue printanière des eaux; ce faisant, ce colossal tronc ligneux a quitté son lieu d’origine, avec l’aide d’une rivière, laquelle, à son tour, a mené celui-ci au lac Saint-Pierre.

 

         Les continuelles vagues de mars et d’avril de ce lac ont guidé sa route, vagues   parfois violentes, vagues parfois caressantes, mais toujours efficaces, l’orientant finalement à cette « petite baie », une des ultimes étapes de sa longue vie. Mais, son mandat, même dans l’évidence d’un non-retour vers le passé, n’étant pas terminé, les jours suivant cette prise de position involontaire de cet espace lacustre vont lui permettre d’accomplir une mission très importante, soit être un refuge très apprécié par plusieurs espèces d’oiseaux.

 

           Les Cormorans à aigrettes furent parmi les premiers à bénéficier de l’accueil de ce tronc de plus de cinquante pieds, suivis de près par un Grand Harle et de quelques Canards branchus; ensuite, la parade commença en grande pompe, avec le passage successif de plusieurs limicoles sur sa surface arrondie, dont une journée mémorable où six espèces et plus de soixante-quinze individus s’y trouvaient, soit des Bécasseaux maubèches, des Bécasseaux semipalmés, des Bécassins roux, des Pluviers argentés, des Bécasseaux variables, des Tournepierres à collier, sans oublier une Sterne pierregarin, laquelle se sentait bien seule parmi tous ces oiseaux de rivage.

 

           À chaque jour, les voyageurs aviaires adorent visiter notre ami couché dans la baie et même s’ils lui marchent sur le dos, ces derniers ne cessent de profiter de sa constante et confortable présence; tour à tour, le Pygargue à tête blanche, le Grand Héron, la Bernache du Canada, le Goéland à bec cerclé, la Guifette noire et même le Petit Chevalier grivelé (ce dernier qui semble être perdu, tellement il a de l’espace pour se promener), défilent sur lui.

 

            Les joncs de l’anse, dans leur croissance vertigineuse des jours de juin, enveloppent assez rapidement le corps de bois tout en le faisant presque passer incognito, mais à un moment ou l’autre, un Grand Héron ou un Pygargue à tête blanche s’y pose, ce pour nous rappeler sa présence de tous les instants.

 

            À la période des filandres aux beaux jours d’automne, soit des nombreux fils blancs des plus légers qui flottent dans l’air, souvent, les eaux du lac Saint-Pierre commencent à s’élever; avec ces « fils de la Vierge » dans l’atmosphère et, avec l’onde en expansion, notre voyageur endormi de la « petite baie » se verra peut-être transporter vers une autre destination, soit à l’orée d’un boisé longeant le lac, soit dans une autre petite baie ou soit tout simplement poussé dans le sous-bois, à l’extrémité de cette anse.

 

             Si la dernière option se réalise, notre « cadavre » continuera sa mission jusqu’à la fin en permettant aux insectes et autres invertébrés de profiter de sa lente disparition en lambeaux ligneux, servant ainsi de nourriture providentielle pour cette catégorie d’êtres vivants dans l’échelle alimentaire de la vie terrestre.