L’ESTURGEON DE LAC

L’Esturgeon de lac, aussi appelé esturgeon jaune par les pêcheurs commerciaux du lac Saint-Pierre, est un des plus anciens poissons de ce cours d’eau et ressemble à une torpille par sa forme, d’où son surnom de « requin d’eaux douces ». Cet étrange poisson au nez allongé se nourrit sur le fond en filtrant l’eau de ses nageoires, pour en conserver que les organismes vivants nécessaires à sa subsistance.

La pêche commerciale à l’Esturgeon de lac se fait depuis toujours, mais la chair de cette espèce a souvent été mésestimée, ce qui a résulté à des gestes peu recommandables comme des tueries massives et des rejets immédiats dans les eaux, comme des amoncellements sur les rives pour le séchage et le brûlage, comme des accumulations pour nourrir les porcs et comme tout simplement des empilements, similaires à des cordes de bois, pour les laisser pourrir ainsi; comme quoi, l’esturgeon n’a pas toujours été bien considéré. Par contre, les Amérindiens connaissaient déjà la valeur de cette chair et savaient l’apprécier et ce, dès les années 1850; ce n’est qu’un peu plus tard que les Blancs de l’Amérique ont appris l’importance de l’esturgeon de lac en le faisant bouillir pour en retirer des huiles pour la peinture, en fabricant du caviar avec les œufs, en extrayant de la gélatine de la vessie pour en faire un agent de soutirage dans la fabrication des vins et de la bière et en tannant la peau pour la convertir en cuir, entre autres.

Dans les années 1960, les pêcheurs commerciaux ont été des victimes innocentes d’un massacre innommable de dizaines de milliers d’esturgeons de lac, lors de la construction des îles de l’Exposition universelle de Montréal, en 1967. Les nombreux dynamitages ont tué ces esturgeons, lesquels ont dérivé dans le lac Saint-Pierre, en passant principalement dans le couloir du fleuve Saint-Laurent, et le désastre a apparu à la face de tous par l’apparition, notamment, de plusieurs géniteurs flottant sur les eaux, morts et souvent en état de putréfaction. Les ministères provinciaux directement concernés ont donné une excuse très répréhensible, soit que ce n’était que des poissons et que ce n’était pas grave!… Comme gestion, ce n’était pas fort, d’autant plus, que ces gestionnaires n’ont jamais tenté de réparer leurs erreurs en compensant quelque peu les pêcheurs commerciaux; au contraire, même si la ressource ne montrait aucune baisse apparente dans les captures, dans les années 1990, les quotas sont venus brimés une seconde fois les pêcheurs.

De nos jours, la chair même de l’esturgeon est très recherchée lorsqu’elle est fumée, ce qui en fait un délice, avec son goût se classant entre celui du poulet et celui du rôti de porc (tiens, tiens!, des relents de temps anciens lorsque l’on nourrissait ces derniers avec des esturgeons?). Certains préfèrent rôtir cette viande de poisson dans un poêlon, après l’avoir fait bouillir quelques minutes, ce, afin d’enlever le surplus de gras. Aujourd’hui, l’Esturgeon de lac est de plus en plus rare sur le marché, avec le peu de pêcheurs commerciaux encore actifs et avec les quotas catastrophiques en vigueur, ce qui est très désolant, car la ressource est encore disponible mais rendu inaccessible, tant pour le pêcheur que pour le consommateur.

Dans une décennie ou deux, ce poisson tombera dans l’oubli et ne demeurera qu’un souvenir dans la tête de ceux qui l’ont côtoyé de près, soit en le pêchant, soit en le savourant comme mets, parce que la pêche commerciale va être abolie à plus ou moins brève échéance sur le lac Saint-Pierre, au grand dam des consommateurs.