LA PÊCHE À L’ANGUILLE D’AMÉRIQUE

L’anguille d’Amérique est un poisson très énigmatique à l’apparence de serpent, ce qui effraie plusieurs pêcheurs sportifs à leurs premières armes dans ce loisir de plein air. À part d’être très gluante avec son limon (matière collante) sur le corps, l’anguille est inoffensive et représente une valeur importante pour les pêcheurs commerciaux du lac St-Pierre. Ce poisson qui naît dans la mer des Sargasses, laquelle est située dans l’océan Atlantique, passe ses premières années sur la Côte Est américaine pour emprunter ensuite les rivières et les lacs des États-Unis, du Canada et du Québec; le lac St-Pierre fait partie de son itinéraire dans son long périple. Dans la dernière année de sa vie, l’anguille d’Amérique retourne à son lieu de naissance, la mer des Sargasses, pour se reproduire et ensuite, mourir.

Les pêcheurs commerciaux du lac St-Pierre ont profité de la manne de l’Anguille d’Amérique entre 1960 et 1980 surtout, car elle était très abondante à cette période; la pêche s’effectuait, soit aux verveux ou soit à la ligne dormante, et souvent, ces deux méthodes étaient utilisées pendant la saison estivale. Les plus gros volumes de captures d’anguilles provenaient des filets de pêche et certaines années, la ligne dormante donnait elle aussi d’excellents résultats.

La ligne dormante, d’une longueur variant entre 300 et 400 pieds, reposait au fond de l’eau à une profondeur moyenne de 4 pieds et ce, à proximité des joncs, l’endroit fréquenté par les anguilles en quête de nourriture. Les empiles (cordes de 18 pouces de long, attachées aux hameçons) étaient espacées l’une de l’autre sur la ligne d’environ une brasse (6 pieds), laquelle ligne possédait des pesées de plomb au 50 pieds, l’aidant à demeurer sur le fond; l’hameçon de chaque empile était à peine plus grosse que celle utilisée pour la pêche à la Barbotte brune; d’ailleurs, régulièrement, une anguille était capturée avec l’hameçon pour la barbotte lors de la pêche sportive.

L’appât régulier, et aussi très apprécié par toutes les espèces de poisson, était le ver de terre, mais il fallait continuellement revenir sur la ligne dormante car les hameçons se faisaient rapidement dépouillés de leur lombric; dans les bonnes soirées de pêche (le meilleur temps de la journée), sur 100 hameçons, un pêcheur décrochait facilement 15 à 25 anguilles, pesant 2 à 4 livres chacune. Lorsque le pêcheur commercial passait une dernière fois sur sa ligne, il appâtait souvent avec des morceaux de petites perchaudes, car presque seulement l’Anguille d’Amérique touchait à ce poisson-appât.

Pour sortir une anguille de l’eau et la rendre à la chaloupe, il fallait prendre une épuisette, à plus forte raison si elle était grosse car parfois, elle se décrochait dû à son poids ou dû à une mauvaise amorce; lorsqu’elle avalait l’hameçon, il fallait lui arracher la gorge pour le récupérer ou, tout simplement détacher l’empile et en mettre une autre. Quant à la méthode pour décrocher normalement une anguille, il suffisait de retourner l’hameçon en l’appuyant sur la ligne tout en donnant un ou deux coups secs vers le bas et cette longiligne prise tombait sur le plancher de la barque; il ne fallait surtout pas laisser un hameçon dans la gorge d’une anguille car, aux usines de transformation, des employés se déchiraient assez fréquemment un doigt et à l’occasion, la main, même avec un gant.

La pêche à l’Anguille d’Amérique à la ligne dormante n’existe plus, interdite par une réglementation provinciale et ce, depuis 1988; de toute manière, la rentabilité n’était plus au rendez-vous avec cette méthode de pêche puisque la population d’anguilles avait déjà baissé radicalement au début des années 1980.