LES ALAMBICS 

       Texte de Michel Bourassa

 

    Sources : Le Carnet du flâneur, René N. Milette, souvenirs personnels.

  

            Le notaire Petrus Hubert, né à Yamachiche le 18 août 1810, fut nommé recenseur  de la  région de Yamachiche en 1851 ( à ce moment la deuxième plus grande agglomération de la Mauricie, immédiatement après Trois-Rivières) et constata la situation suivante : qu’il n’y a pas d’auberges ni de tavernes à Yamachiche, mais 4 maisons de pensions, 6 magasins, 8 boutiques de forgerons, 4 boutiques de tanneurs, 7 boutiques de cordonniers, 12 boutiques de menuisiers, 1 boutique de voituriers et 2 boutiques de potiers, entre autres. Étant un centre urbain très important de l’époque, lequel voyait le chemin du Roy le traverser en plus, il est étonnant que la vente d’alcool n’existait pas, ce grâce à l’absence de commerces de ce genre, même dans les rangs. La principale raison était la présence des sociétés de tempérance, organismes très puissants appuyées par le clergé.  

  L’interdiction de vendre de l’alcool dans les débits de boisson de 1915 à 1961, ce à Yamachiche et toute la région de Trois-Rivières, ainsi qu’à de nombreux autres endroits au Québec, soit la prohibition, a encouragé la vente illégale des boissons alcoolisées et par le fait même l’apparition de plusieurs alambics à Yamachiche. Ces petits commerces clandestins se trouvaient souvent dans des cabanes à sucre (les « sucres » se prolongeaient jusqu’au mois de mai!), des granges et des hangars, ces derniers pour les plus audacieux, soit près de la maison (plus pratique pour la fabrication des alcools parfois frelatés).

Cette activité particulière demandait une discrétion de tous les instants et même si les voisins s’en doutaient ou le savaient, une sorte d’Omerta existait, ce afin de ne pas être inculpé en cas d’arrestation des gens directement impliqués. Mais par contre, tout le monde était au courant et lorsqu’il y avait une descente et une saisie de la marchandise et des biens ayant servi à la fabrication, personne ne s’en étonnaient. Il y a notamment eu un feu sur un de ces fabricants d’alcool et lors de l’arrivée des pompiers, tout le monde savait que c’était la bâtisse de l’alambic qui flambait!

Chaque municipalité avait des alambics sur son territoire et plusieurs personnes ont œuvré dans ce domaine et ce, pendant plusieurs années, soit jusqu’à la décennie 1960  (avec la fin de la prohibition en 1961, le nombre d’alambics diminua considérablement). Les marchands de sucre, de mélasse, de blé, d’orge, d’outils, de matériaux et autres ont, eux aussi, tiré profit de cette situation économique illégale devant la loi. Entre autres, un marchand de sucre allait lui-même livré cet ingrédient chez ses clients, ce afin de ne pas éveiller des soupçons sur eux. Des gens très respectés faisaient le transport de la camelote pour certains fabricants et on serait étonné si leur nom était connu!

Les plus importants producteurs d’alcool fabriquaient du whisky et généralement, de très bonne qualité, mais d’autres, beaucoup moins scrupuleux, se souciaient peu de l’hygiène et leur produit, soit de la « baboche » à base d’éthanol, rendait malade plusieurs consommateurs et même quelques-uns en mouraient; la distillation de la boisson frelatée se faisait dans des endroits insalubres et avec de l’eau douteuse.

En somme, malgré l’illégalité de ce genre de commerce, les citoyens qui l’effectuaient réussissaient à faire vivre décemment leur famille avec ce revenu supplémentaire lors de cette période où l’argent était beaucoup plus rare.    

Une autre catégorie de fabricants de boissons existait dans ces années et ce, à petite échelle, soit pour sa propre consommation ou pour quelques amis. Ces boissons-maison, si l’on peut dire, consistaient à du vin de cerise, du vin de pissenlit (de bibitte), du vin de patate, du vin de riz, du cidre, de la bière et de tout autre produit du genre.  Un certain degré de tolérance existait pour ces petites productions pour consommation personnelle car, pour plusieurs, c’était un peu dans la normalité de boire ces boissons alcoolisées, une habitude souvent transmise de père en fils : autres temps, autres mœurs.