Le Nouvelliste 23-24 août 2008

Un Canadien errant

François Roy
Collaboration spéciale
VOYAGE DANS LE TEMPS

Quelle est la plus fameuse chanson écrite dans notre région? Vous avez le choix. Moi. je vous suggère Un
Canadien errant, chanson qui a fait le tour du monde, en particulier quand Nana Mouskouri l'a ajoutée à son répertoire. Un Canadien errant, c'est l'oeuvre d'un collégien de dix-huit ans, Antoine Gérin-Lajoie, natif de Yamachiche.

L'histoire commence en 1839. Les Patriotes vaincus défilent devant la justice britannique et le terrible Charles-Richard Ogden, député de Trois-Rivières devenu procureur en chef du gouvernement. Une soixantaine sont condamnés à l'exil en Australie, qui est alors une colonie pénitentiaire. Fin septembre, un navire transportant des condamnés passe justement devant le port Saint-François et quelques braves habitants du coin viennent assister au spectacle de leur propre défaite. Il y aurait parmi ces gens-là des professeurs et des élèves du Séminaire de Nicolet... Et parmi eux, possiblement un jeune d'une quinzaine d'années, doué pour l'écriture, du nom d'Antoine Gérin-Lajoie.

Chose certaine, trois ans plus tard, Gérin-Lajoie se souvient des événements de 1839. Devenu le plus remarquable élève de la classe de Rhétorique, il est aussi le pilier d'une petite société littéraire connue sous le nom de «L'Académie», dont les membres font des lectures publiques, à l'ombre des grands pins. C'est là qu'il va lire une belle complainte romantique de sa composition, tout à fait dans le goût de l'époque.

Le héros du poème sera donc un exilé solitaire, livré à la mélancolie, à la nostalgie, au mal du pays, qui se retire dans la nature et confie son chagrin «au courant fugitif». Mis en musique par un autre élève, nommé Pinard, ce poème deviendra une chanson et restera dans le répertoire du Bas-Canada, pour parvenir jusqu'à nous.

Fait à noter: aucun de ces exilés de 1839 n'est originaire de chez nous. Ils sont tous des environs de Montréal. Dans la région de Trois-Rivières, le pouvoir britannique appréhende seulement une poignée de sympathisants, qui vont rapidement recouvrer leur liberté, grâce au bon vouloir du juge Vallières de Saint-Réal. Seul le jeune Joseph-Guillaume Barthe, un autre romantique, sera emprisonné pendant trois mois, pour avoir «éternué quelques vers patriotiques» dans un journal plutôt insolent et rebelle appelé Le Fantasque.

Le grand Louis-Joseph Papineau lui-même fait partie parmi les exilés, mais dans son cas, c'est un exil volontaire, une sorte de fuite en avant, qui le conduit aux États-Unis, puis en France. À son retour d'exil, il se fera élire sans opposition député de Saint-Maurice et prononcera l'un de ses plus fameux discours à Yamachiche, chef-lieu du comté et village natal de Gérin-Lajoie.

Dans ce discours de Yamachiche, Papineau lui aussi a une bonne pensée pour les condamnés de 1839: «L'exil et la déportation avaient banni vos frères jusqu'aux antipodes; plusieurs ont péri. Nous les
pleurons et nous respectons leur mémoire».

En fait, deux exilés seulement vont mourir au bout du monde. Les autres vont profiter d'un pardon du gouvernement, en 1844, et ils vont presque tous revenir au pays. Un seul d'entre eux, Jacques-Joseph Marceau, va choisir de rester en Australie. Il va se marier, vivra heureux et aura beaucoup de petits kangourous.•

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