La Revue Sainte-Anne | OCTOBRE 2003

GÉNÉALOGIE
Jacques Saintonge

Charles Lesieur de la Pierre

D' après le généalogiste Roland J. Auger, il est possible que l'ancêtre Charles Lesieur soit arrivé en Nouvelle-France avec le régiment de Carignan en 1665, même si aucun document connu ne vient le confirmer de façon absolument certaine. Il aurait pu ainsi suivre les traces de ses confrères Séverin Ameau, Michel Roy dit Châtellerault et François Trotain de Saint-Seurin, tous notaires oeuvrant dans la région trifluvienne. Charles serait vraisemblablement arrivé dans ces parages vers 1666 ou 1667, mais son nom n'apparaît pas dans les recensements effectués ces années-là, pas plus d'ailleurs que les noms des soldats encore enrégimentés.

Le 11 octobre 1671, le sieur de la Pierre, demeurant au Cap-de-la-Madeleine, fait rédiger son contrat de mariage par le notaire Jean Cusson. Ce document nous informe qu'il est le fils de Julien Lesieur et de Catherine Le Sache, de Doville (Deauville), en Normandie (Calvados). À cette date, donc, Charles promet d'épouser Françoise de Lafond, âgée de treize ans, fille d'Étienne de Lafond et de Marie Boucher, soeur de Pierre. La famille de Lafond est l'une des plus anciennes de Trois-Rivières et du Cap-de-la-Madeleine, y étant installée dès 1645.

 

Riche propriétaire

Comme en témoignent les greffes des notaires Jean Cusson et Antoine Adhémar, l'ancêtre Lesieur a été un riche propriétaire. Le 7 septembre 1676, il loue, pour cinq ans, une ferme située à Richelieu, à Jacques Girot et Jean Lavallée ; le 2 octobre 1678, il loue une autre terre à Louis Badaillac dit Laplante ; le 2 mars 1682 et le 3 mai suivant, Jean Langlois et Gilles Dupont deviennent ses nouveaux locataires. Le 4 octobre 1678, Charles avait lui-même pris à bail de Charles Le Gardeur, seigneur de Villiers, un lot de trois arpents et demi sur le bord de la rivière Saint-Michel (Bécancour).

 

En 1681, la famille Lesieur est recensée deux fois : tout d'abord à Batiscan où elle possède cinq bêtes à cornes et huit arpents en valeur, et où sont mentionnés les enfants Charles 7 ans, Pierre 4 ans et julien 18 mois ; aussi au Cap-de-la-Madeleine, où Charles déclare posséder un fusil et six arpents en culture. D'un endroit à l'autre, l'âge des parents varie selon le bon entendement du recenseur : à Batiscan, ils ont respectivement 34 et 21 ans ; au Cap, on leur en donne 32 et 23.

 

Vingt congés de traite

Comme bien de ses contemporains, Charles Lesieur ne reste pas insensible à l'appât du gain au moyen de la traite des fourrures. Entre le 21 avril et le 19 juin 1682, le greffe de Claude Maugue, à Montrél, enregistre une vingtaine de congés, ou permissions de transporter des marchandises pour aller les troquer contre des peaux de bête. L'ancêtre obtient l'un de ces congés, en même temps que Joseph Perrot, Simone Côté, Nicolas Godé,Jean Aubuchon, François Hazeur, René Robineau de Bécancourt et plusieurs autres.

 

Notaire et procureur fiscal

Le 11 juillet 1686, Charles Lesieur de la Pierre concède à son confrère François Trotain, au nom des Jésuites dont il est le procureur fiscal, une habitation de huit arpents de front sur vingt-et-un de profondeur, dans la seigneurie de Batiscan. Entre 1689 et 1696, il rédigera quelques actes notariés pour quelques-uns de ses coparoissiens, notamment le contrat de mariage d'Antoine Choquet et d'Anne Trotain, celui de Laurent Bronsard et de Marie Collet, de même que celui de Pierre Roche et de Suzanne Rabouin.

 

 
François Lesieur-Desaulniers (18501913), journaliste, historien, député fédéral et provincial, généalogiste réputé. Il est l'auteur des « Vieilles familles d'Yamache », ouvrage publié  

Émile et Anne-Marie ont fait leur voyage de noces à Sainte-Anne-de-Beaupré, comme beaucoup de nouveaux mariés à cette époque. (Source : Le Nouvelliste, 13 décembre 1986).

 

Décédé à cinquante ans

Le greffe d'Antoine Adhémar révèle que, le 12 juin 1695, Charles forme une société avec François Frigon et Pierre Trottier. Cette association sera de courte durée, car à l'automne de l'année 1697, 1 rend l'âme ; le 15 janvier, il est inhumé dans le cimetière de Batiscan, âgé d'à peine cinquante ans. Françoise de Lafond portera le deuil un peu plus de six ans. Le 17 juillet 1703, elle convolera en secondes noces avec Louis Fafard, veuf de Marie Lucas.

Huit fils et trois filles

Charles et Françoise avaient été les parents de huit fils : Charles, né en 1674, marié en 1700 à Marie-Charlotte Rivard ; Pierre, né en 1677 ; Julien, né en 1679, marié en 1701 à Simone Blanchet ;Augustin, né vers 1683 ; Jean-Baptiste, né en 1686, marié en 1707 à Élisabeth Rivard-Laglanderie ; Joseph, né en 1688, marié vers 1720 à une Illinoise, Madeleine Adouin ; Antoine, né en 1693, marié en 1719 à Marie-Anne Rivard-Loranger ; un autre Pierre, né en 1696, marié en 1746 à Geneviève Sicard de Rive ; trois filles : Françoise, née en 1680, mariée en 1717 à Louis-Joseph Rivard-Bellefeuille ; Marie-Catherine, née en 1691 ; enfin, Marie-Françoise, née en 1695.

Fondateurs d'Yamachiche

Charles et Julien Lesieur doivent être considérés comme de véritables fondateurs d'Yamachiche. Eux et les frères Étienne, Jean-Baptiste et Pierre Gélinas forment les « familles mères », selon l'expression même de l'abbé Napoléon Caron, premier historien de cette paroisse.

Le 8 juillet 1702, Charles et Julien sont à Boucherville, auprès de leur grand-oncle Pierre Boucher. Par-devant le notaire Marien Tailhandier, ils acquièrent une grande partie de la seigneurie de Grosbois, soit trois quarts de lieue et sept arpents de front, sur deux lieues de profondeur, à prendre à sept arpents au-dessus de la Grande-Rivière, moyennant la somme de 800 livres, monnaie courante.

« La vente était faite, écrit l'abbé Caron, citant le texte du contrat, sans rien réserver ny retenir aucune chose que de lesser le sieur Nicolas Gatinaux, ou ses hoirs ou ayans cause, jouir d'une concessin que mon d. sieur Boucher luy a condeddé dans ladite seigneurie, suivant son contrat d'acquisition passé par-devant ledit not. en date du douzième Septembre mil six cent quatre-vingt dix-neuf qui est de douze arpents de front sur quarante-deux de profondeur, en arrière-fief, outre une rente de quatre minois de bled et autre droit que lesdits sieurs acquéreurs et leurs hoirs recevront tous les ans comme le d. sieur Boucher. »

« Les nouveaux propriétaires, ajoute l'abbé Caron, se mirent immédiatement en frais de peupler leur domaine, et dès l'année suivante, 1703, ils dirigeaient une petite colonie vers les bords de la rivière Yamachiche. »

Jusqu'à l'arrivée des frères Lesieur, rien de significatif n'a été réalisé sur les terres fertiles dans la partie est du fief Grosbois, surtout, semble-t-il, par crainte des Iroquois.

Le 23 mai 1653le gouverneur de Lauzon avait concédé à Pierre Boucher un front d'un quart de lieue au-dessous de la rivière Yamachiche et un autre quart de lieue au-dessus. Le 9 août 1655, ce front est agrandi à une lieue au-dessous et à une demi-lieue au-dessus, sur trois lieues de profondeur. Le 3 novembre 1672, l'intendant Jean Talon révise toutes les seigneuries, y compris celle de Grosbois. Il offre alors à Boucher trois quarts de lieue au-dessus de la rivière
 « Amachiche » et autant au
dessous, sur deux lieues de profondeur, à la condition que les futurs tenanciers tiennent feu et lieu sur le sol que le seigneur voudra bien leur donner.

 

 Les années passent, mais l'ami Pierre, trop préoccupé à contenter son monde à Boucherville, ne porte guère attention à son domaine de Grosbois. Le 12 septembre 1699 (greffe Tailhandier), il en détache douze arpents de front sur quarante-deux de profondeur au profit de son beau-frère Nicolas Gastineau. Cette superficie correspond au secteur de la Rivière-aux-Glaises, sur les bords du lac Saint-Pierre, du côté de la Pointe-du-Lac. De Nicolas, elle passe à ses fils Louis et Jean-Baptiste qui y déclarent, en 1723, « une maison de vingt pieds de long close de pieux, une grange de cinquante pieds de long aussy close de pieux, et douze arpents de terre labourable. »

 

Les seigneurs Charles et Julien Lesieur réussiront à attirer toute leur famille dans  leur domaine d'Yamachiche. Le dénombrement que Charles en fait en 1723, à la demande de l'intendant Bégon, indique que lui-même y possède « une maison de vingt-six pieds de long, de pièces sur pièces, et un pavillon y joignant aussy de pièces sur pièces de neuf pieds en carré, deux granges, l'une de trente-cinq pieds de long, l'autre de vingt close de pieux, une écurie de dix pieds en carré et une étable de vingt pieds de long, l'une et l'autre closes de pieux entre deux poteaux, douze arpents de terre labourable ; point de prairies, sinon celles qui se trouvent naturellement sur le bord du lac Saint-Pierre. »

 


Émile Desaulniers, fils de Joseph et Anna Gadbois, a épousé à Yamachiche, en 1936, Anne-Marie Pellerin,
fille de
Wilfrid et Elley Bellemare. Ce couple est ici entouré de ses enfants. Assis, de gauche à droite, Lise, Émile et Anne-Marie, Jeannine. Debout : Michel, Paul, Marcel, André, ' Réal, Guy, René et Jean. (Source : Le Nouvelliste, 13 décembre 1986)

 

Sont groupée, autour de la Seigneurie, la veuve et les héritiers de Julien Lesieur, l'église paroissiale « de pieux sur solles », Augustin Lesieur, Julien Rivard-Laglanderie, Jean-Baptiste Lesieur, Joseph Lesieur, François Rivard-Laglanderie, Michel Rivard, Joseph Rivard (et sa femme Françoise Lesieur) et Antoine Lesieur. En tout et partout, en 1723, vingt familles et une centaine d'âmes, plus 197 arpents de terre en culture. C'est un départ modeste, mais en 1765, les Trifluviens constateront avec amertume que leur ville a perdu son titre de métropole de la Mauricie, l'ayant temporairement concédé aux «Yamachinois ».

 

Surnoms

Pourquoi nos ancêtres portent-ils autant de surnoms? Voilà une question que beaucoup de gens se posent. Dans l'ouvrage précité, l'abbé Caron apporte une explication logique. « Dans ces temps déjà si éloignés, écrit-il, il y avait une coutume qui est complètement perdue aujourd'hui : le fils aîné portait le nom de famille de son père, absolument comme nous le faisons maintenant, mais les autres enfants se choisissaient un nom, ordinairement parmi les objets de la nature, et le portaient joint au nom de leur père. Avec le temps, ce nom venait à prédominer. Comme les familles étaient alors extrêmement nombreuses (preuve soit dit en passant, de la très grande moralité de nos ancêtres) ceci empêchait la confusion et chaque enfant mâle devenait ainsi la souche d'une famille distincte et séparée.

« Ce système, ajoute l'abbé Caron, a été largement appliqué dans la famille Lesieur : Charles, l'aîné, ne porta que le nom de Lesieur ; mais Julien prit le nom de Duchêne ; JeanBaptiste prit le nom de Desaulniers ; Joseph prit le nomde Coulomb et Antoine prit le nom de Lapierre. Les Duchêne, les Desaulniers, les Colomb et les Lapierre doivent donc aller chercher leur premier ancêtre canadien dans Charles Lesieur, procureur fiscal à Batiscan ; tout aussi bien que les Lesieur proprement dits. Les Frény ne sont qu'une division de la tranche des Lesieur dit Lapierre ; un certain Antoine Lesieur dut, le premier, prendre ce nom. »

Pour compléter cette note de l'abbé Caron, précisons que le surnom de Desaulniers a été aussi adopté par les descendants de Pierre Trotier III, fils d'Antoine Trotier et de Catherine Lefebvre, marié en 1696 à Catherine Charets, à Lévis. Le surnom de Coulomb n'a pas été transmis à la postérité. Les surnoms de Duchesne (Duchêne et Duchaîne) et de Lapierre sont partagés par un grand nombre de familles. 


Deux descendants de l'ancêtre Charles Lesieur
Amédée Lesieur, fils de Napoléon et Élisabeth
Côté, ainsi que Raoul Desaulniers, fils de Joseph
Nérée et Marie-Alexina Bellemare. (Source, Le
Nouvelliste, 3 mars 1979).

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