Le Nouvelliste 31 octobre 2001

 

Yamachiche et Drummondville

Des millions de messages outre-mer


 

MICHEL CLOUTIER
Le Nouvelliste
Yamachiche

 

 

   

La télégraphie sans fil, cette science née avec le XXe siècle, va révolutionner les communications. Les relations humaines vont pousser dans toutes les directions. Et toujours davantage, les signaux vont se propulser par-delà les mers. Pour un monde inconnu.

Fascinantes perspectives que conjugue le jeune Italien Guglielmo Marconi. Dès 1901, dans une folle expérience, ce physicien réalise la première transmission télégraphique sans fil (la TSF) à travers l’Atlantique, de Poldhu en Angleterre, à Saint-Thomas à Terre-Neuve. Devenu célèbre, Marconi ne manque de rien. Homme d’affaires, il fonde à Londres la Marconi Wireless Telegraph. Très vite, son système est adopté par la marine britannique et italienne. Vers 1920, la Canadian Marconi Wirless (MWT) voit le jour à Montréal.

L’horizon apparaît. Yamachiche, ce paisible village du Québec est "sur un fil", devient en 1924 le centre névralgique continental pour desservir les pays du Commonwealth avec l’installation d’une puissante station réceptrice. Elle opère en 1926, de même qu’une seconde station aussi importante, émettrice cette fois, à Drummondville.

Fiers et sérieux, les techniciens, venus d’angleterre au début, se livrent à une activité joyeuse, de jour comme de nuit, se relayant en équipes, sans interruption depuis 1926 jusqu’à la fermeture des deux stations en 1975.

Cette aventure retentissante, une aubaine providentielle pour les deux localités, soulève l’enthousiasme. On salue la première liaison radiotélégraphique entre Londres et Montréal.

RAOUL DUCHESNE

Craignant la misère et l’indigence, le jeune Raoul Duchesne aspire au bonheur. Il jure qu’il va réussir sa vie. "Je vais me trouver un emploi permanent." Bien intentionné, l’adolescent de 13 ans ne se disperse pas. Il quitte Yamachiche pour Montréal avec Alide, son frère cadet. Le grand départ. Ils entrent au collège en 1897, se laissent séduire par cette nouvelle science qu’est la télégraphie sans fil. Rien de facile, mais le coeur y est. Alide ira au Canadien Pacifique et Raoul chez Marconi.

Devenu télégraphiste, Raoul est muté un peu partout dans les stations côtières Marconi de l’est du pays. À Trois-Rivières, il trouve l’âme-soeur, Berthe Gauthier, qu’il marie en 1918.

En 1927, le voilà promu à la nouvelle station à ondes courtes de Yamachiche. "Moi, le bon Dieu me conduit par la main!", dit-il. Comblé, il revoit son village natal. Il en deviendra maire et fondateur de l’entreprise Duchesne et fils. L’honneur lui revient d’inaugurer les premiers signaux TSF outre-mer de la Canadian Marconi avec Edward Hogson (le grand patron) et Cy Wilson.

Unique francophone, Raoul Duchesne parle un anglais impeccable, sans accent, l’ayant appris en écoutant la radio Marconi et lisant les journaux. Autour de lui, une quinzaine de techniciens Anglais, Australiens, Suédois et Africains du Sud. Les Québécois n’y figureront que dans les années 60.

La station prend de l’envergure. Elle assure en 1928, deux autres liaisons radiotélégraphiques avec New York et Melbourne en Australie.

POURQUOI YAMACHICHE ET DRUMMONDVILLE?

Pragmatique, Marconi exploitait déjà en 1910 deux modestes stations vers l’Europe depuis Louisbourg et Glace Bay au Cap Breton. La Grande guerre éclate, la TSF est prodigieusement efficace, surclasse le câble sousmarin, en fonction depuis 1869. Préoccupée, la Marconi Wireless Telegraph (MWT) entend gagner sur toutes les lignes. Son interminable ligne télégraphique Louisbourg-Montréal coûte cher, les tempêtes de verglas la rendent vulnérable. Il faut réduire sa portée, rapprocher les stations vers le terminal de Montréal. La MWT abandonne le Cap Breton, choisissant Yamachiche et Drummondville, le sol glaiseux et les vastes terres étant propices aux opérations du genre.

Dans les années 30, Yamachiche est non seulement une station à haute fréquence, mais un laboratoire, une usine et un atelier de réparations. Cinq outilleurs et mécaniciens construisent et assemblent différents équipements. Les premiers thermo-couples y sont fabriqués, de même que les premières soudures d’aluminium au Canada.

Rappelant ces faits, Paul Huot, ayant succédé à Raoul Duchesne en 1946, note que les conversations téléphoniques entre le Canada et l’Angleterre ont débuté en 1932. Il conserve précieusement un extrait du ruban du premier message télégraphique Londres-Montréal, en ce 21 octobre 1926. Les premiers messages dans la langue de Molière le furent entre Yamachiche et Saint-Pierre et Miquelon vers 1957. "C’était fascinant. C’est moi qui l’assurait, étant le seul francophone de l’équipe", rapppelle Paul Huot.

Technicien en radio, il est comme les pompiers, se tient sur le qui-vive. "Dès qu’un orage magnétique survient, c’est l’alerte, il faut changer de fréquences à différents intervalles. Et surtout, s’assurer de la meilleure fréquence pour éviter les pertes de liaisons. Dans ce cas, il faut une intuition du tonnerre."

Et les tempêtes de neige? Elles rendent périlleux l’accès à la station. Le train doit s’arrêter en plein champ. Les employés en débarquent... s’amènent en ski. Jamais seuls, c’est la consigne pour affronter les bourrasques.

CORDON-BLEU

Berthe Désaulniers, cuisinière pour les opérateurs pensionnaires durant 27 ans (1942-1969), n’est payée qu’une piasse par jour. Débuts ardus. "L’argent ne valait rien", dit-elle amusée, riche aujourd’hui d’une pension intéressante. Courageuse, elle supporte la fatigue, s’amène à la station de Yamachiche dès 7 h le matin pour n’en ressortir qu’à 19 h 30. "C’est moi qui doit réveiller les employés, parfois les sortir du lit." Avec Berthe, tout est simple, achevé et parfait. Les patrons se délectent de son roastbeef au jus, apprêté exclusivement pour eux. Crêpes et ragoûts de pattes attendent les employés.

C’est Arthur, son père cultivateur, qui vendit à la Marconi les 340 des 582 arpents achetés pour installer le poste et les tours.

Elphège Côté dirige alors la main-d’oeuvre tout en cumulant les fonctions de peintre en bâtiment, de messager, d’épicier et de réparateur. Un jour, en peignant les tours à 300 pieds du sol, il fait une chute de 25 pieds... sans conséquence. Le treuil manuel de l’échafaud avait cédé.

MARCONI UTILISE LES
BREVETS DE TESLA

Bien que l’histoire attribue généralement à Marconi le crédit de l’invention de la radio en 1901, c’est l’ingénieur croate Nikola Tesla, théoricien de génie qui obtenait en 1893 les brevets du tout premier système radio viable. Si bien qu’en 1943, un arrêt de la Cour suprême des États-Unis accordait à Tesla la primauté des brevets de Marconi. Âgé de 86 ans, Tesla meurt en 1946, triste et abandonné. Auteur de plus de 700 brevets, il a popularisé les applications du courant alternatif, devenant l’un des inventeurs les plus fascinants des temps modernes.

Dès 1893, Tesla fait une démonstration publique de transmission d’onde radio au moyen d’un éclateur. C’était deux ans avant les premiers essais de Marconi. "Ce Marconi est un brave garçon. Il est bien parti. Il utilise 17 de mes brevets", déclara Tesla, sans rancune apparente.

 

_____________________

(CLIQUEZ ICI POUR FERMER LA FENÊTRE)