Le Nouvelliste 8 septembre 2001

VOYAGE DAN LE TEMPS

Un Canadien errant

FRANÇOIS ROY
(Collaboration spéciale)


Si on vous demande d'identifier le plus fameux auteur-compositeur originaire de notre région, vous répondez Félix Leclerc, bien sûr. Le barde de La Tuque, transplanté à Sainte-Marthe-du-Cap, s'est fait connaître et apprécier ans tous les pays francophones.

Mais, si on vous demande le titre de la plus fameuse chanson écrite chez-nous, alors, vous devriez considérer «Un Canadien errant». Elle aussi, elle fait le tour du monde et même Nana Mouskouri l'a ajoutée à son répertoire.

«Un Canadien errant», c'est l'oeuvre d'un collégien de dix-huit ans, Antoine Gérin-Lajoie, natif de Yamachiche et pensionnaire au Séminaire de Nicolet. Nous sommes en 1842. Le Bas- Canada vient de conaître des heures sombres et les âmes sensibles en sont encore toutes remuées.

Gérin-Lajoie va prendre sa plume et composer une grande complainte romantique, tout à fait dans le goût de l'époque. Tout à fait dans l'esprit de Châteaubriand et de Lamartine. Le héros de la chanson sera donc un solitaire, livré à la mélancolie, à la nostalgie, au mal du pays. Il se retire dans la nature et confie son chagrin au courant fugitif.

Mais cette complainte romantique est aussi une chanson politique. Le Canadien errant est un Patriote condamné à l'exil par le gouvernement de sa Gracieuse Majesté britannique. En 1838 et 1839, près de soixante rebelles sont déportés dans des colonies pénitentiaires, aux Bermudes pour quelques-uns, en Australie pour la plupart. Les navires qui les transportent passent devant le quai du port Saint-François. Les collégiens de Nicolet sont là, avec leurs maîtres du Séminaire. Gérin-Lajoie lui-même est probablement du nombre, pour saluer le passage des exilés. En tout cas, trois ans plus tard, il se rappellera cette page de notre histoire, quand il va composer son poème.

Fait à noter: aucun de ces exilés de 1838-39 n'est originaire de notre région. Ils ont tous participé au soulèvement dans les environs de Montréal. Dans la région de Trois-Rivières, le pouvoir britannique emprisonne seulement une poignée de sympathisants, dont la plupart vont rapidement recouvrer leur liberté. Seul le jeune Joseph Guillaume Barthe, un autre romantique, sera condamné à trois mois de prison, pour avoir «éternué quelques vers patriotiques»».

Quant au fait que Gérin-Lajoie soit natif de Yamachiche, ce n'est peut-être pas un hasard. Il s'agit à l'époque d'une paroisse plutôt remuante, où l'on a organisé une grande manifestation patriotique, à l'été de 1837. Onze ans plus tard, à son retour d'exil, Louis-Joseph Papineau se fera élire sans opposition député de Saint-Maurice et c'est à Yamachiche, chef-lieu du dit comté, qu'il va prononcer l'un de ses plus fameux discours.

Dans ce discours de Yamachiche, Papineau lui aussi a une bonne pensée pour les condamnés de 1838-3920: «L'exil et la déportation avaient banni vos frères jusqu'aux antipodes; plusieurs ont péri. Nous les pleurons et nous respectons leur mémoire».

En fait, deux exilés seulement vont mourir au bout du monde. Les autres vont profiter d'un pardon du gouvernement, en 1844, et ils vont presque tous revenir au pays. Un seul d'entre eux, dénommé Marceau, va choisir de rester en Australie. Il va se marier, vivra heureux et aura beaucoup de petits kangourous.

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