Le Nouvelliste 2 septembre 2000

VOYAGE DANS LE TEMPS


Le Suisse d'Yamachiche

François Roy
(collaboration spéciale)

Depuis quarante ans, beaucoup de Suisses ont acheté des fermes un peu partout en Mauricie. Ces familles-là ont eu, dans notre histoire régionale, un célèbre prédécesseur. Un compatriote qui voyait. grand et qui a fait chez nous l'acquisition d'un véritable fief du côté de Yamachiche.

Il s'appelle Conrad Gugy et il a servi dans l'armée d'invasion du général Wolfe. Après la conquête du Canada, entre 1764 et 1771, il achète pas moins de quatre seigneuries, entre la Rivière-du-Loup et la Pointe-du-Lac. Voilà un vrai bon achat!

À l'époque, Yamachiche est un terroir en pleine expansion. Desservi par le Chemin du Roy et doté d'un sol riche, l'endroit attire de nombreux colons, comme ces familles acadiennes qui viennent de s'y établir: les Garceau, les Trahan, les Lord Seigneur du lieu, juge de paix, Conrad Gugy est vraiment devenu un personnage important. Il a ses entrées dans la bonne société de Trois-Rivières, même chez les catholiques, lui qui est un fervent protestant.


Un militaire de l'armée «continentale»

Toutefois, à l'automne de 1775, Gugy a de gros problèmes avec des nouveaux venus plutôt encombrants: une armée américaine qui a envahi le Canada et qui occupe Montréal, Sorel et Trois-Rivières. Officiellement, on l'appelle «l'armée continentale», par opposition aux troupes anglaises venues d'outre-mer. Mais les braves habitants denos campagnes désignent ces envahisseurs sous le nom de «Bostonnais», parce qu'ils sont presque tous originaires de la Nouvelle-Angleterre. Les Bostonnais sont donc arrivés chez nous et ils font la loi. Comme on s'en doute, Gugy est rapidement pointé du doigt comme un ami des Anglais. Dans son fief de Yamachiche, il aurait menacé du fouet tous les habitants qui pourraient avoir l'envie de favoriser la cause américaine et de collaborer avec l'armée continentale.

Gugy doit se présenter de toute urgence à Trois-Rivières, pour se justifier devant le colonel Livingstone qui commande les Bostonnais. Celui-ci ne veut pas se mettre à dos les notables de la région, même si la plupart sont des partisans du roi d'Angleterre. Il écoute les explications du seigneur de Yamachiche et ne retient rien contre lui. Il va même plus loin: Livingstone fait afficher son jugement à la porte de l'église de Yamachiche et réprimande l'accusateur de Gugy, un dénommé Larose de la Rivière-du-Loup (aujourd'hui Louiseville).

Notre ami suisse s'en est bien tiré, mais il n'est pas au bout de ses peines. Au printemps suivant, voici venir de nouveaux problèmes: les troupiers américains n'ont pas touché leur solde depuis sept mois. Ils rôdent autour des fermes. Ils se font soigner chez les Ursulines sans payer. Ils vident la réserve de rhum du marchand Hart sans payer non plus. Ils parlent même de mener une petite expédition jusqu'à Yamachiche pour se donner du bon temps dans le manoir du seigneur Gugy, mais leurs officiers les retiennent.

Finalement, les Bostonnais vont se replier sur Sorel à la mi-mai 1776. En passant à Yamachiche, malfaisants, ils incendient quelques bâtiments qui appartiennent au seigneur du lieu. Ils essaieront bien de revenir, mais subiront une terrible défaite, le 8 juin, aux portes de Trois-Rivières. On ne les reverra plus jamais. Bon débarras!

Conrad Gugy est soulagé. Il va désormais pouvoir vivre heureux dans son immense domaine comme une souris dans une grosse meule de fromage. De fromage suisse, évidemment!

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