Le mort est bien entouré

 

Couché sur le dos, la tête par en arrière et les ailes repliées sur son corps, la dépouille est "exposée" dans son habitat naturel, soit près du lac St-Pierre, sur le sable de la pointe Yamachiche. Le mort est un Goéland à bec cerclé, lequel est passé dans "l'autre monde" dû à une cause inconnue, probablement la maladie et ce dernier, dans sa position allongée, n'est même pas embaumé.

 

Cette exposition en plein air occasionne beaucoup de visites par la parenté immédiate comme les Goélands marins avec, déjà, leur manteau noir, comme les Goélands argentés, un peu à l'écart, et comme les Goélands à bec cerclé, beaucoup plus nombreux, devenant les premiers à l'encercler pour " veiller " au corps en se couchant près de lui. Près d'eux, les jeunes Sternes pierregarins  ont toujours faim et quémandent continuellement leurs parents, ce qui trouble l'atmosphère par les vols répétés.

 

Le Cormoran à aigrettes, à proximité, veille calmement dans son habit noir à ce que tout se déroule bien autour du goéland décédé, agissant comme le maître des lieux. Tout près du "croquemort", deux Mouettes de Bonaparte viennent atterrir pour approcher le défunt aviaire, accompagnées du Grand Chevalier ( représentant sa confrérie ) et des autres membres de son groupe comme les Petits Chevaliers et les Chevaliers grivelés.

 

De temps à autre et venant du large, un air mélancolique émis par quelques Plongeons huards se fait ouïr. Le défilé se poursuit au sol de la plage et le trépassé à bec cerclé continue de voir circuler à ses côtés plusieurs individus ailés comme le Bécasseau de Baird, les Bécasseaux sanderlings, le Bécasseau à croupion blanc, les Bécasseaux semipalmés et les Bécasseaux minuscules; même l'Aigrette neigeuse ose, à quelques reprises, l'arroser de fines gouttelettes d'eau lorsqu'elle plonge son bec dans la rivière, comme pour le bénir. Un Pluvier argenté, et une dizaine de Pluviers semipalmés semblent compatir en faisant entendre leurs plaintes.

 

Toute la journée, la circulation se fait autour et même au-dessus du défunt car, tour à tour, deux Faucons émérillons, un Pygargue à tête blanche, des Grands Hérons et même un Faucon gerfaut, lequel vient rarement dans cet environnement, le survolent pour un dernier salut. Quelques absents de marque comme le Héron vert, la Bernache du Canada et le Bécasseau à échasses ( présent hier ) attendent probablement en soirée ou à demain pour venir le voir; il en est de même du Balbuzard pêcheur.

 

À tout événement, d'autres présences notables ont passé à l'heure du midi, soit des Hirondelles bicolores, des Hirondelles rustiques et des Hirondelles de rivage, voulant ne pas être en reste en ce 28 août 2006, à quelques jours seulement de leur grand départ vers le Sud; en fin d'après-midi, des Bruants chanteurs entament leur chant vespéral pour la circonstance changeant un peu l'ambiance; une Gallinule poule-d'eau les imite, à intervalles réguliers, avec ses cris ressemblant à des lamentations.

 

La soirée devrait voir parader plusieurs autres membres du monde des oiseaux auprès du corps du Goéland à bec cerclé inanimé, mais comme je ne fais pas partie de leur famille élargie, je les laisse à leurs activités nocturnes, quitte à revenir demain pour une prochaine visite en leur compagnie; dans la quiétude qui sera presque un recueillement pour le respect du disparu des derniers jours.

 

Quarante-huit heures après le décès, je suis sur place pour constater que le cadavre a été retiré de l'endroit entre la soirée d'hier et la matinée d'aujourd'hui, pour l'extirpation des entrailles, travail exécuté par un possible Urubu à tête rouge avec la collaboration probable de quelques Corneilles d'Amérique ou, pour le broiement des os du squelette par un carnassier, tel le Renard roux, lequel est un expert en la matière avec ses mâchoires de survie, perpétuant et renouvelant ainsi le cycle de la vie dans le monde animal puisqu'il n'y a pas d'embaumement et d'inhumation comme chez les humains.

 

Mais comme chez l'homme, des photographies rappelleront l'existence de ce Goéland à bec cerclé à la pointe Yamachiche car, hier après-midi, une amante des oiseaux a eu l'heureuse idée de capter des images en se penchant au-dessus de lui pour un ultime adieu.