Conte pour tous ( 1963 )

 

Le moineau Titan

( première partie )

Avant-propos:

Ayant écrit ce conte à l'adolescence, il vous apparaîtra évident que ce conte pour tous a été rédigé avec mes connaissances et ma façon d'écrire de l'époque. Avec les années, il y a eu probablement amélioration dans l'écriture et c'est pour cette raison que j'ai osé présenter ce texte afin d'encourager les jeunes à tenter une telle expérience même s'il s'agit de leur première.

 

Il y a toujours une première fois dans tout et lorsque c'est fait, une grande satisfaction en ressort et surprend parfois l'auteur lui-même pour l'encourager à continuer et surtout, il n'y a pas d'âge pour écrire car le talent n'attend pas la valeur des années, comme on dit.

 

Par un beau matin d'été, des piaulements saccadés et cadencés d'un petit oiseau égayaient le port d'un gentil village de province. En effet, c'était le moineau Titan du haut de son arbre qui se trémoussait en tous sens dans son nid et saluait la venue d'une autre journée ensoleillée tout en faisant sa toilette. Le bec dans une de ses ailes, il ressemblait à une balle de laine et sa minuscule tête se perdait dans son plumage tant elle était petite dans ses plumes d'un aspect gris brun.

 

Le coeur joyeux, il se présenta aux abords de son nid et se mit à admirer les eaux bleues du cours d'eau qui longeait le gros peuplier qu'il habitait. Cette beauté de la nature le faisait rêver d'aventures merveilleuses au-delà des mers, dans les pays dits féériques et enchanteurs. À tous les jours, il s'arrêtait quelques instants et songeait au moment où il s'élancerait hors de son bercail pour commencer une nouvelle vie. Mais Titan ne parvenait jamais à se décider et remettait toujours au lendemain cette décision qui ne dépendait que de son propre chef. Revenant à la réalité, il se mit à l'oeuvre et parcourut les alentours afin de dénicher ici et là un crin de cheval, un cheveu, un brin de paille et même une dépouille de branche morte pour solidifier sa demeure, se faisant vieille et chancelante, résultat des caprices de la température.

 

Il accorda de nombreuses heures à cet effet et s'attira les éloges de ses confrères qui le côtoyaient car il venait de compléter un ingénieux travail à son gentil logis. Tout en expliquant à ses camarades comment il s'était organisé pour enjoliver son emplacement, Titan remarqua l'arrivée d'un cargo étranger accoster près d'eux dans le port. Évidemment, il n'en était pas à sa première expérience au point de vue bateau mais tout de même son coeur battait à chaque occasion car il avait soif d'aventures lors de telles invitations maritimes. Dans les circonstances, Titan resta inerte, placide et seul un cri du commandant de la flotte disant " nous levons l'ancre demain matin " le ramena partiellement de son état. Commençant à se sentir las de la journée laborieuse qu'il venait de vivre, il se dirigea lentement vers sa demeure afin de prendre un repos salutaire pour son corps.

 

Pensant constamment à l'aventure depuis l'arrivée du cargo dans les limites de son territoire, Titan s'endormit sur cette note. Durant son sommeil, il eut un étrange songe: il s'était embarqué sur ce cargo et devenu le héros de l'équipage en l'espace de quelques secondes. En effet, Titan occupait une place d'honneur près du commandant et on le festoyait avec un enthousiasme délirant. À la table du festin, il pouvait savourer d'excellents plats qui provenaient de la main experte du chef cuisinier du bord. Après le banquet, notre Titan était conduit dans une luxueuse chambre qui aurait fait l'envie de beaucoup de gens. En résumé, Titan menait une vie de gentilhomme se faisant servir par tout l'équipage lors de ses moindres besoins.

 

Le lendemain, il ouvrit les yeux très à bonne heure, se rappelant les paroles du commandant dans le songe qu'il avait eu pendant la nuit; il se laissa fasciner par le goût des voyages et sans hésitation, il se glissa sur le vaisseau à la manière d'un " rat de cale ". Il attendit plusieurs heures avant qu'on lève l'ancre mais à un moment précis, le port était délaissé et Titan se voyait lancé dans un monde incertain qui devait lui réserver de nombreuses surprises, tant agréables que désappointantes. Il n'en croyait pas ses yeux: lui qui aimait la certitude et la sécurité, se trouvait balancé par les flots qui l'entouraient de toutes parts; ces mêmes flots l'intriguaient par leurs assauts répétés sur les flancs du navire marchand.

 

Sur celui-ci, Titan n'avait pas encore donné libre cours à ses ébats qu'il avait déjà fait la découverte de plusieurs trucs du métier de matelot, de la vie d'équipe, de l'équipement marin ainsi que des aires du pont de sa demeure flottante. Il passa sa première journée à bord dans un endroit retiré à épier les us de la vie en mer, ce qui rendit sa présence insoupçonnée par les membres de l'équipage. Épier c'était bien beau, mais il fallait penser à manger et Titan ne tarda pas à sentir la faim ronger ses entrailles. Se basant sur son songe, il s'hasarda hors de son repaire et fit irruption dans la cuisine du bord afin d'apaiser ses tripes qui criaient famine.

 

Dès son entrée, un projectile passa tout près de sa tête fragile. Il se posa sur une armoire et comprit qu'il l'avait échappé belle car les matelots pratiquaient le lancer du couteau sur une cible, près de la porte. Sous le regard de leur commandant, les hommes de l'équipage donnaient le meilleur d'eux-mêmes dans cette compétition d'habileté. Titan n'était pas venu là pour assister à un tel spectacle mais plutôt pour satisfaire son appétit; il ne tarda pas à découvrir que la table regorgeait de nombreuses miettes de pain et il se laissa choir tout doucement sur cette dernière afin de happer cette riche nourriture pour son estomac. Par son apparition aussi soudaine qu'inattendue au milieu de la cabine, les marins sursautèrent à la vue de notre ami Titan. Le commandant, de prime abord coi, devint furieux dans les circonstances. Titan resta subjugué et réalisa qu'il venait de commettre une bévue; en interrompant la séance du lancer du poignard, il mettait le commandant dans une très grande colère car ce dernier semblait attacher une très grande importance à cet exercice.

 

Revenant de ses émotions, il ordonna à Titan de quitter les lieux et de ne plus jamais se présenter devant ses yeux. L'oiseau le supplia tant et tant de lui laisser au moins le temps de manger quelque peu avant de partir mais il refusa opiniâtrement de lui accorder cette faveur et notre petit ami de la gent ailée dû quitter le bateau, le gosier sec et le ventre vide. Déçu du mauvais accueil que les marins lui avaient procuré, Titan se résigna à son sort et se mit à battre des ailes très nonchalamment au-dessus de la surface liquide qu'est l'océan.

 

Il survolait la nappe d'eau à faible altitude ne sachant où ses forces le mènerait car en s'embarquant pour la mer, il relégua aux oubliettes l'itinéraire à parcourir pour revenir dans son patelin; il pensait faire le voyage de retour sur le cargo qui devait malheureusement le jeter dans de vilains draps. Égaré, tiraillé par la faim, affaibli par la fatigue à cause de son vol prolongé en mer, Titan luttait de toutes ses énergies afin de demeurer entre ciel et eau et ne pas être la victime des flots écumants car un moineau ne possède pas la force d'un goéland ou d'une mouette. Mais malgré son courage indomptable et son grand désir de vivre, il ne pourrait tenir le coup indéfiniment et graduellement sa tire d'ailes perdait de la vigueur et ses forces s'anéantissaient. La triste réalité allait projeter notre cher Titan dans l'abîme de la mort et seul un miracle pourrait sauver ce dernier.

 

À suivre