Ça ne file pas, mon grand ?

Article de Michel Bourassa

 

Par un beau matin avec un ciel clair, je suis sur le Lac Saint-Pierre à vider les verveux et en approchant de l'un des derniers, j'ai la surprise d'y voir à l'intérieur un Grand Héron, puisque le filet de pêche est plus de la moitié sorti de l'eau mais c'est unique comme situation car l'entrée, à l'avant, est à peine plus grande que le corps du héron; la vue des poissons à l'extrémité du filet de pêche a poussé celui-ci à se piéger lui-même, lequel est maintenant dans une mauvaise posture, soit allongé et penché car la nasse est deux fois moins haute que sa grandeur. Je hisse le filet dans la chaloupe et je l'ouvre avec précaution sachant fort bien le danger potentiel de retirer cet aventurier de sa fâcheuse position, vu sa capacité de tuer avec un long et fort bec pointu; je rabats la corde maillée sur sa tête, tout en attrapant cette dernière par l'extérieur, en le couchant au fond de la barque et je réussis à le sortir de là, après plusieurs manoeuvres délicates pour ne pas me faire blesser et aussi, le relâcher indemne: ce qui est fait. En le déposant dans les joncs, il déguerpit rapidement pour s'arrêter un peu plus loin, se remettant de ses émotions et il doit avoir eu sa leçon.

 

Deux jours plus tard, je retourne à mon travail et au même filet de pêche, mon insouciant de Grand Héron est encore capturé et cette fois, beaucoup plus mal en point avec une patte coincée dans les cordes et avec quelques traces de sang à la base du cou, résultat des tentatives pour se libérer. Comme entêtement, il n'y a pas mieux, ou un peu lâche peut-être, car dans un filet de pêche il peut avoir des poissons avec une facilité déconcertante mais sans pour autant penser aux conséquences: est-ce que c'est cela qu'on appelle une cervelle d'oiseau? À tout événement, je le retire de là et en le déposant dans la barque, il se précipite hors de celle-ci en s'enfargeant et tombant tête première à l'eau se relevant d'un même mouvement pour quitter à grandes enjambées, encore en déséquilibre et en vociférant. Je suis certain de ne plus le revoir, car je '' couche '' le verveux au fond de l'eau et le lendemain, je l'installe au large, inondé: le cas est réglé !

 

Au début des années 1980, une situation similaire s'est produite mais avec un Cormoran à aigrettes qui est enfermé dans le filet de pêche, lequel est calme à mon arrivée. Je monte le verveux dans la barque pour déposer l'intrus avec précaution sur le plancher après avoir secoué ledit filet; dès sa sortie, le cormoran piétine tout en examinant les lieux pour se diriger lentement vers le flanc gauche de la chaloupe et y grimper.

 

Il me regarde avec sa petite face haïssable, toute orangée autour du bec, tel un enfant avec la bouche salie par une glace à l'orange; vraiment, il est très à l'aise et tellement, qu'il décide d'ouvrir ses ailes pour les sécher afin qu'elles reprennent leurs propriétés d'imperméabilité. S'il pense qu'il va, aussi, me faire sécher, il se trompe et, après avoir refermé et attaché la nasse, je lui donne une petite poussée de la main pour le projeter à l'eau; c'est beau être accueillant, mais il y a des limites car j'ai du travail à faire: dehors la visite...