CHASSE À LA GRENOUILLE ET AU OUAOUARON

Article de Michel Bourassa

 

Dans les années entre 1930 et 1960, en particulier, une activité économique assez importante était pratiquée par plusieurs hommes sur la rive nord du lac St-Pierre et correspondait à la chasse à la grenouille-léopard et au ouaouaron américain, deux espèces de batraciens assez lucratives à l'époque.

La capture des grenouilles s'effectuait dans les champs les plus rapprochés du lac, autant sur la rive sud que sur la rive nord, et plus l'herbe dans ceux-ci était courte, plus le rendement à la fin de la journée était intéressant par des prises substantielles.  Il fallait se munir d'une planche courbée d'un tonneau de mélasse et lui faire une poignée assez longue en enlevant le bois dans la partie supérieure, ce qui devenait rapidement l'instrument idéal pour assommer les grenouilles-léopards; il ne manquait que le récipient pour y déposer les captures, soit une chaudière d'un gallon ou bien, un sac de jute avec ouverture en tôle dans le haut fabriqué en défonçant un seau, lequel sac était porté en bandoulière par le chasseur.

Pour la chasse au ouaouaron, cette grenouille géante verte, elle se faisait à la noirceur, soit le soir et la nuit, et ce, dans les baies du lac St-Pierre et dans les rivières s'y déversant.  La technique consistait à fabriquer un dard très artisanal avec quatre hameçons No. 5 (pas le parfum Channel), en les redressant par le feu, lesquels étaient installés au bout d'un manche (de râteau ou de vadrouille) en bois d'environ deux mètres de long; un récipient de cinq gallons avec une poche de jute fermant l'ouverture, dans laquelle un trou avait préalablement été fait pour entrer chaque prise et un fanal (allumé au naphte) auquel une poignée de bois, protégée par une tôle y étant rattachée et empêchant les brûlures, complétaient l'équipement.

Cette activité de travail exigeait deux personnes, soit le rameur, debout, qui dirigeait la chaloupe par l'arrière et décrochait le batracien du dard pour l'insérer dans le contenant et le chasseur, à genoux sur le devant et en équilibre, qui guidait son partenaire avec le dard d'une main, à l'arrière du fanal dans l'autre main, lequel fanal aveuglait les ouaouarons qui ne voyaient pas le dard ainsi caché.  Si les anoures étaient au rendez-vous, il était très important que le vent ne tourne pas au nord car, dès cet instant, la chasse était terminée car ces proies se cachaient comme par magie.

Après la capture des grenouilles ou des ouaouarons, soit cinq ou six heures après, le travail n'était pas fini car il fallait "préparer" les cuisses, soit les enlever du corps.  Pour la grenouille, c'était assez simple en utilisant une lime de scie et en repliant l'extrémité pour en faire un crochet lequel servait à entrer dans l'abdomen de la capture afin de séparer les deux parties (le corps des pattes) en tirant dessus, enlevant la peau des cuisses, laissées à nue et prêtes à la consommation.

Pour les ouaouarons, l'effort était plus considérable car il fallait couper la colonne, près des cuisses, pour ôter le corps et pouvoir, avec les doigts, enlever la peau de ces dernières pour y voir que la chair.  C'était un commerce assez rémunérateur pour les plus habiles et les plus "travaillants" car dans ces années d'avant et d'après guerre, ils gagnaient plus cher que plusieurs gens de leur milieu.

À l'occasion, certains avaient des idées pas très catholiques dans cette période pourtant très religieuse, car ils prenaient plaisir à faire "fumer" des ouaouarons et à les regarder éclater lorsqu'ils étaient remplis de "boucane":  assez sadique comme geste.  Ces gros batraciens verts sont, maintenant, beaucoup moins nombreux dû à une chasse intensive, la construction de l'autoroute 40 (détruisant une partie de leur habitat) et à la pollution industrielle et agricole des cinquante dernières années.  Quant à la grenouille-léopard, il y a aussi une diminution assez importante avec, encore, l'autoroute 40 qui "coupe" la route à ces anoures, lesquels doivent la traverser pour se rendre dans les champs, occasionnant l'écrasement de plusieurs individus; la mono-culture comme le maïs et la pollution sont aussi deux autres causes de la baisse de population en ajoutant aussi dans une moindre mesure, la prédation des oiseaux.  Aujourd'hui, il faut un permis du MNRFQ (ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec) pour la chasse de ces deux espèces de grenouilles.