DE L'ANTIGEL DANS LE CORPS ?

Article de Michel Bourassa

 

En ce 10 février 2003 et par un froid cinglant d'au moins – 30 Celsius, soit une des journées les plus glaciales du présent hiver, je m'obstine à faire quelques courtes sorties pour l'observation des oiseaux aux alentours du domicile et éviter ainsi les engelures plus que probables si j'insiste trop en prolongeant l'une d'elles.

En début d'après-midi, je rencontre un marcheur aussi fou que moi pour s'aventurer dehors par une telle température et il me confie avoir probablement entendu le chant d'un Cardinal rouge entre le dernier pont de l'autoroute et l'embouchure de la Petite rivière Yamachiche lors de sa randonnée sur la rivière glacée.  Je sais qu'il y a effectivement un Cardinal rouge mâle aux mangeoires d'un de mes voisins et il brille par sa présence presque à chaque jour; je m'y rends aussitôt et j'ai la chance de le voir dans les premières secondes, m'épargnant une attente trop longue dans ces conditions climatiques extrêmes malgré la bienveillance des rayons du soleil.

Je m'interroge sur cet oiseau près du lac dans le boisé de la rive ouest de la rivière et si c'est réellement un Cardinal rouge, ce n'est pas celui-ci car il ne s'éloigne pas de cet environnement idéal pour ses ravitaillements et pour s'abriter dans les haies; j'entre à la maison pour me réchauffer et peut-être aller vérifier le renseignement de mon ami, un peu plus tard.

Après environ une heure à la chaleur, je m'habille chaudement et je brave les éléments en empruntant la surface gelée derrière chez-moi au cas où un quelconque oiseau intéressant croise ma route mais, en cette période de l'année, j'y crois très peu.  Je passe sous les ponts de l'autoroute 40 et ce, à une allure assez rapide dû à la froidure de plus en plus insistante car l'astre diurne perd de sa vigueur dans les dernières minutes de clarté.

Rien à signaler dans le monde aviaire à part un Pic mineur, vraiment très pauvre comme récolte mais je le savais au départ et la seule chose pour le moment qui me préoccupe est d'arriver au lac St-Pierre car c'est intenable.  Enfin à destination, je grimpe sur la rive à l'est et je me tourne vers l'ouest et là, c'est pire que pire car le vent nord-ouest brûle mon visage dans les premiers instants et je réalise la quasi stupidité de me voir ici.  Mais l'oiseau de mon informateur, que j'avais complètement oublié, se manifeste du sol des derniers arbres du boisé par un chant timide, semblable au Cardinal rouge, et de prime abord, je suis incapable de le repérer mais il fait irruption d'un congère de neige pour survoler la rive ouest, à peine un mètre au-dessus des herbes desséchées.  Le lent vol de son corps brunâtre aux flancs chamois m'interpelle et je ne le crois pas encore car c'est un Traquet motteux, immature; mais que fait-il ici ?  Il est fou!  Ouf, je n'ai pas à juger car je suis là aussi, en face de lui… Il a un avantage sur moi car il vient du Grand Nord Canadien, habitué à des froids semblables, à croire qu'il n'a pas seulement du sang dans son corps mais aussi de l'antigel, ce qui n'est pas mon cas et je reviens immédiatement à la maison presque congelé d'un bout à l'autre, excepté mon cœur, lequel est réchauffé par la vue de ce Traquet motteux.