QUAND l’INSTINCT REVIENT!

 

                                                    Texte de Michel Bourassa

 

  Au printemps 2009, une sortie ornithologique dans le secteur de Sainte-Marthe-du-Cap, ce, afin de voir la Grue du Canada signalée lors des derniers jours, me permet de longer un ruisseau d’eau presque stagnante, lequel se trouve entre le chemin de terre menant à la tourbière des lieux et le sentier côtoyant le bassin clôturé des eaux traitées de la ville de Trois-Rivières; tout en continuant ma route vers ladite tourbière où pourrait peut-être se réfugier la grue recherchée par mes deux amis et moi-même, je remarque, avec satisfaction et un certain étonnement, la présence d’au moins vingt ouaouarons adultes et tous des mâles en plus, ce qui est tout à fait normal en cette période médiane de la journée.

 

       Endroit idéal pour ces anoures, l’eau impropre à la consommation humaine du large fossé laisse apparaître leur corps et leur tête hors d’elle, camouflant ainsi leurs cuisses et leurs pattes, les rendant moins vulnérables à la prédation aviaire ou tout autre, mais ne les rendant pas pour autant moins étranges avec leurs fameux yeux disproportionnés leur donnant l’apparence de petits monstres sortis directement de la préhistoire. Revenant bredouille de la tourbière pour le recensement de la Grue du Canada, en voyant tout de même un Bruant de Lincoln comme cadeau de consolation, il faut revenir par le même chemin et c’est à ce moment que je réalise réellement l’effet spectaculaire émotionnel sur moi lorsque je revois ces amphibiens au canal; en effet, de plus en plus nombreux, soit environ cinquante, ces ouaouarons au manteau verdâtre et au ventre blanc, tout en ayant une gorge jaune orangé éclatante de mâle, m’impressionnent énormément et me rappellent les années 1960, pendant lesquelles je les chassais avec un dard et ce, pour la consommation, correspondant, à cette époque, une denrée alimentaire très recherchée comme mets de luxe.

 

      Cette communauté de grosses grenouilles vertes réveille pour quelques instants mon instinct de chasseur, me faisant quelque peu frissonner par des souvenirs du passé, mais le bon sens me ramène rapidement à la réalité, sachant fort bien que je ne pourrais plus harponner un seul de ces vulnérables êtres du monde animal, n’ayant plus du tout le goût de tuer, même pour gagner de l’argent : autres temps, autres mœurs. Ces ouaouarons sont dans un environnement des plus sûrs pour leur avenir immédiat et il est à espérer qu’il en sera ainsi pour encore longtemps.