UN FRONT D’HIRONDELLE

 

Article de Michel Bourassa

 

        Le 25 octobre 2004, dans un vent à écorner un bœuf, je réussis quand même à me rendre à la Pointe-Yamachiche en vélo et à recenser plusieurs espèces d’oiseaux de premier ordre, dont  neuf Plongeons Huards, plus de deux cents Bécasseaux variables, six Bécasseaux à croupion blanc, un Harle huppé, le fameux Goéland brun (présent depuis avril), deux Petits Garrots, cinquante-cinq Pluviers argentés et un Pluvier bronzé.

 

        Pendant mes recherches, un ornithologue amateur de la région de Lanaudière se joint à moi et par moments, nous avons de la difficulté à empêcher nos jumelles de bouger, tellement les bourrasques de vent sont puissantes et tenaces; c’est pendant un de ces dits moments d’instabilité que mon partenaire d’observation repère une hirondelle dans le ciel de la plage et elle tourbillonne sans cesse, transportée par les forts élans éoliens : une hirondelle à cette date d’automne, c’est réellement exceptionnel! Au premier coup d’œil, avec l’aide des jumelles, nous remarquons un croupion (endroit situé entre la fin du dos et le début de la queue) chamois, caractéristique de l’Hirondelle à front blanc, la plus observée au Québec, et de l’Hirondelle à front brun, espèce des plus exceptionnelles sur notre territoire, s’arrêtant habituellement en Ontario.

 

        Après plusieurs commentaires, lesquels devaient mener à nous entendre sur l’espèce  d’hirondelle qui se trouve présentement devant nos yeux dans un ciel sombre, nous sommes encore dans l’incertitude; alors, nous vérifions dans un guide d’oiseaux pour nous aider mais, même après ce geste, nous ne sommes pas plus avancés. Mon voisin n’ose pas se prononcer officiellement, même s’il penche vers l’Hirondelle à front brun, mais moi j’ose, et je confirme que c’est justement cette espèce d’hirondelle et ce, pour deux raisons assez évidentes, soit premièrement parce que son vol est continuellement dans un espace des plus restreints tout en étant principalement verticale dans des montées et des descentes en spirales, le tout dans un vol remarquable d’agilité, tandis que l’Hirondelle à front blanc semble plus costaude, ce qui la rend moins rapide et l’oblige à voler plutôt à l’horizontal tout en parcourant de plus longues distances pour trouver sa nourriture; la deuxième raison, et la plus plausible, correspond à la date tardive de ce passage d’hirondelle, car ça fait belle lurette que l’Hirondelle à front blanc n’est plus dans le décor (mi-septembre), d’autant plus que l’Hirondelle à front brun sort de plus en plus de l’Ontario pour venir au Québec en octobre, d’ailleurs encore confirmé cette année par l’observation d’au moins un spécimen dans l’Est de notre province après la mi-octobre : il faut avoir du front pour cette hirondelle de s’aventurer ainsi dans la Mauricie à quelques jours seulement de novembre!, et aimer le goût du risque, car la bouffe devient de plus en plus rare pour cette espèce insectivore.

 

       La meilleure explication pour la difficulté à prononcer notre verdict est probablement à cause de l’âge de l’individu, soit un jeune de l’année, avec son front sombre et ses caractéristiques moins définies que celles de l’adulte; tout en ajoutant le vent qui nous déstabilise continuellement, ce n’est pas une mince tâche! Il est toujours possible de trouver une rareté, même si le temps n’est pas toujours favorable, et cette Hirondelle à front brun est l’exemple parfait.