LES ERMITES DES CHAMPS

 

Article de Michel Bourassa

 

 

        De plus en plus, les arbres vivent isolés les uns des autres dans les champs, si ce n’est en solitaire, car depuis que les vaches laitières et tous les autres animaux de la ferme ne fréquentent plus ces grands espaces et l’âge avancé de certains aidant, si ce n’est pas aussi l’effet instantané de la foudre, un à un, nos arbres géants ont disparu et disparaissent  d’année en année sous les coups de la scie à chaîne pour l’une ou l’autre de ces raisons, d’autant plus que certains agriculteurs chauffent au bois, une autre conséquence à considérer.

 

       Avant tout, la disparition accélérée de ces vénérables géants des champs est directement relié à l’abandon de la majorité des petites fermes laitières, car les animaux avaient absolument besoin de quelques gros spécimens ligneux pour se protéger du soleil lors des jours de canicule ou pour se mettre quelque peu à l’abri lors des orages; cela appartient maintenant au passé et il faut faire avec cette réalité de plus en plus triste puisque plus les ans nous quittent, plus les arbres tels que les ormes, les érables, les chênes, ainsi que quelques autres essences utiles, deviennent des ermites en voyant partir leurs congénères tout en demeurant droits et fiers en attendant que leur tour arrive un de ces jours. Pourtant, chacun de ces solitaires feuillus apporte un cachet particulier à chacun des territoires occupés et devient une valeur ajoutée pour une municipalité et même pour le propriétaire de ces terres agricoles, mais au niveau de l’écologie, il y a encore plus.

 

      En effet, la mort de chacun de ces ermites sans défense, souvent causée par les changements des méthodes modernes dans l’agriculture, laquelle a toujours besoin de plus d’espace (selon les penseurs qui ont aussi fait disparaître beaucoup de pare-vent naturels composés d’arbrisseaux) résulte en la perte insidieuse d’une région de certaines espèces d’oiseaux, principalement des buses, des faucons, des éperviers, des crécerelles, des pie-grièches, des harfangs, des chouettes, des corneilles et des corbeaux, sans compter quelques sortes de bruants, des sizerins et des geais. L’utilité de chacun de ces sages vieillards endormis pendant tout l’hiver n’est plus à discuter, car à chaque fois qu’un rapace arrête sur un de ses bras de bois, il lui permet, soit de se reposer, soit de lui donner la chance de capturer un mulot par son appui ou soit de le faire repérer par un ornithologue amateur qui lui en sera reconnaissant.

 

        En terminant, il est désolant de constater que dans un avenir pas trop éloigné, les champs du Québec ne posséderont plus ces attractions naturelles, lesquelles émerveillent l’été par leur feuillage fourni et élaboré et séduisent l’hiver par la fréquentation de la gent ailée sur leurs membres, parfois extrêmement surprenante. Dans ses nombreuses années d’une vie tranquille, se comparant souvent à la longévité de celle de l’être humain, chacun de ces ermites aura rempli à perfection son mandat sur la terre qui l’aura accueilli par sa constante présence pour la vie animale et ce, même s’il n’a pas eu une descendance de sa propre essence, laquelle aurait pu au moins donner le vrai sens à son existence sur la Terre.