PETITS GESTES POUR GRANDS FRISSONS
Article de Michel Bourassa
Dans l’ornithologie, comme dans tout autre domaine de la
société, le moindre petit geste d’attention de notre part vers une autre personne
peut prendre des proportions insoupçonnées et ce, positivement;
ce texte vous en donnera quelques exemples, tous des plus intéressants.
Tout observateur d’oiseaux digne de ce nom rêve
continuellement à l’espèce qu’il n’a pas encore
vu dans ses jumelles ou sa lunette d’approche et dès qu’il a
atteint ce but, il pense déjà à un autre spécimen,
souvent plus difficile à trouver : cette quête de
nouveauté est toujours présente et l’aide des autres
ornithologues amateurs devient très importante; cette collaboration
d’autrui prend souvent une tournure très émotive et des
plus uniques.
La première à se présenter à mon esprit
concerne la visite d’une observatrice à la Pointe-Yamachiche, laquelle fait une sortie ornithologique afin de
repérer le Goéland brun signalé sur Internet lors des
derniers jours. À son arrivée, déjà sur place, je
lui signale que ce goéland inusité est toujours dans les
alentours, mais qu’il n’est pas encore venu depuis que je suis sur
les lieux : elle est quelque peu déçue, parce que ça
représenterait une première à vie pour elle,
d’autant plus qu’elle ne peut rester longtemps, étant sur
son heure de dîner dans son travail; elle se résigne à
partir en promettant de revenir si le Goéland brun demeure sur le site
de la « pointe ». À peine cinq minutes
après son départ, le fameux goéland apparaît dans
mes jumelles et sans hésiter, j’enfourche mon vélo pour
rattraper la jeune femme en quelques minutes et lui signaler la présence
de l’oiseau tant convoité; elle est ravie et rebrousse chemin en
marchant à une très bonne allure. Lorsqu’elle
aperçoit le Goéland brun, posé à proximité
de quelques Goélands marins, ses yeux s’illuminent et me remercie
d’avoir pris le temps de la rattraper dans sa route de retour au véhicule,
pour quitter avec le cœur joyeux; je suis satisfait de mon geste, lequel
était des plus simples puisque je demeurais sur le site pour encore au
moins une autre heure.
À la fin des années 1990 jusqu’au début des
années 2000, chacune des migrations d’automne des limicoles me
permettait aussi de renouer avec un couple environnant les soixante-dix ans,
lequel effectuait son pèlerinage annuel dans une atmosphère de
fête à la Pointe-Yamachiche. Ces
personnes très sympathiques, lesquelles affectionnaient
énormément ce site pour sa tranquillité et sa
beauté, étaient des plus intéressantes par leurs anecdotes
savoureuses sur les oiseaux, racontées avec humour et beaucoup de
couleur : à chaque occasion, ces gens âgés
m’impressionnaient, tout en ayant hâte à
l’année suivante.
Une
autre situation inoubliable vécue avec des amants des oiseaux
débute un certain début d’après-midi à la
Pointe-Yamachiche et ce, avec un jeune couple
d’observateurs, lequel tente de trouver un Bécasseau de Baird
parmi la dizaine d’espèces présentes; revenant de la Petite
rivière Yamachiche, je leur signale que deux
de ces bécasseaux recherchés occupent l’endroit et que je
peux les conduire sur ce site, en chaloupe, si les deux sont prêts
à me suivre : après une légère hésitation,
ils acceptent. Pendant la randonnée sur l’eau de la
rivière, n’ayant jamais fait de promenade en embarcation, les
jeunes tourtereaux apprécient chacun des instants, d’autant plus
que plusieurs Chevaliers grivelés volètent en avant de la barque
qui nous transporte à l’embouchure de la « petite
rivière ». Sur les lieux, les deux Bécasseaux de Baird
sont rapidement découverts, au grand plaisir des deux membres du couple
et en plus, quelques Bécasseaux à poitrine cendrée,
nouvelle espèce à vie pour eux, côtoient les Baird tant
enviés. Mes passagers d’un jour, lors de leur débarquement,
sont extrêmement impressionnés de leur petite excursion
ornithologique et jurent de ne jamais oublier cette journée;
l’offre de mes services ne fut jamais regrettée de ma part,
m’ayant donné d’heureux souvenirs gravés dans la
mémoire.
Le
prochain exemple de grands frissons se déroule par un matin
ensoleillé à Neuville, où une Paruline
polyglotte occupe le secteur du marais Provencher et ce, depuis
déjà plusieurs jours. Sur le site depuis quelques minutes, la paruline ne s’est pas encore manifestée,
même si elle fut aperçue en haut de son arbre favori deux minutes
avant notre arrivée. Dans l’attente assurée pour un retour
à son perchoir dans les prochaines minutes, selon un habitué du
coin, d’autres observateurs prennent place près de nous, dont une
dame très énergique, qui s’inquiète de
l’absence de la Paruline polyglotte, craignant
de ne pas la voir; comme annoncée par l’observateur, la paruline sort des fourrés et monte dans
« son arbre ». Tous les ornithologues, dont mon ami et
moi, retraçons immédiatement ce joli individu du monde des
passereaux, à part cette femme angoissée, laquelle a tellement
peur de rater ce recensement, qu’elle prend panique, ne sachant pas
où regarder; mais dès qu’elle réussit à
l’obtenir dans ses jumelles, elle en jouit pleinement dans des cris de
joie et en tremblant presque dans sa danse de célébration :
une primeur pour elle, ce qui était beau et émouvant à
voir.
D’autres moments mémorables se produisent en un certain
début de mois de septembre, période pendant laquelle une Aigrette
neigeuse est de passage à la Pointe-Yamachiche;
sachant que cette aigrette peut aussi se trouver à la
« petite rivière », je m’y rend en
embarcation-moteur et dès mon arrivée à l’embouchure
du cours d’eau, cette beauté aviaire apparaît à
gué, ce à ma gauche, tout en voyant du même coup
d’œil, au loin à la « pointe »,
plusieurs observateurs d’oiseaux, lesquels sont sûrement à
cet endroit pour cette Aigrette neigeuse. Après mûre
réflexion, je prends la chance de faire « lever »
l’aigrette en passant à proximité de celle-ci et ce, en
marchant dans l’eau tout en traînant la barque, dans
l’impossibilité de me déplacer en moteur dû au peu
d’eau : à quelques reprises, ce stratagème avait
fonctionné, soit de voir l’Aigrette neigeuse me suivre à la
Pointe-Yamachiche, ce, après l’avoir
dérangée. Mon pari s’avère juste car, dès mon
arrivée au rivage de la « pointe », on me signale
de faire attention puisque l’aigrette vient de se poser à mince
d’eau : je n’en demandais pas plus et je suis des plus
heureux, surtout pour les nombreux observateurs. Dans les jours suivants, une
autre très grande satisfaction s’offre par la présence de
deux Oies rieuses, lesquelles se reposent quotidiennement à l’autre
versant de la rivière de la Pointe-Yamachiche,
ce qui est presque impossible de les observer sans traverser. En me rendant
avec ma chaloupe pour mes séances d’ornithologie, à chaque
jour, je l’entre dans ladite rivière, ce qui permet au maximum
d’amants d’oiseaux de traverser pour admirer ces oies rarissimes
sur ce site, à leur grand bonheur et au mien, par la même
occasion.
Comme l’on peut le constater, souvent, il suffit de peu pour
rendre quelqu’un heureux, soit simplement un peu d’attention, et
les deux partis en tirent d’énormes bénéfices. La
reconnaissance est très souvent de mise et une telle situation
s’est présentée au mois de novembre 2006, à
l’île Sainte-Hélène, Montréal, lors de la
recherche d’une Paruline grise; cherchant ce
spécimen rare avec un groupe d’ornithologues, je vois une dame
s’amenant à la course vers moi et je conclus qu’elle vient
me signaler que ladite paruline a été
trouvée, mais ce n’est pas le cas! En effet, m’ayant reconnus,
cette montréalaise me remercie avec un enthousiasme débordant de
lui avoir fait voir un Bécasseau maubèche à la Pointe-Yamachiche et ce, en 2004, pour lui procurer une autre
primeur à vie; je ne m’attendais certainement pas à cette
rencontre fortuite, mais comment agréable, prouvant que le moindre petit
geste envers autrui est beaucoup plus important que l’on pense et que
certains savent l’apprécier.