LES HARFANGS DES GLACES
Article de Michel Bourassa
Dans la dernière partie du mois de mars de l’une des
années de la décennie 1990, je veux absolument recenser au moins
une nouvelle espèce d’oiseaux et ce, à la Pointe-Yamachiche. Sur la rive ouest glacée de la «grande
rivière », laquelle n’a pas encore été
envahie par les eaux du lac Saint-Pierre, je regarde dans la « petite
baie » qui se dégage graduellement de ses glaces par des
déplacements de grandes plaques détachées du lieu aqueux,
résultat direct de la circulation des navires au couloir fluvial amenant
de nombreuses vagues répétées vers les rives.
En cette journée sans nuages au soleil radieux, ce dernier envoie
ses rayons chaleureux sur la surface enneigée de mon environnement et
par le fait même, sur mon visage exposé :
j’apprécie pleinement le moment présent tout en scrutant
l’horizon des eaux et des boisés riverains du lac. Des
Goélands argentés et des Goélands marins voltigent dans le
ciel et des Garrots à œil d’or s’amusent tout
près des Grands Harles dans la « petite anse » en
longeant la glace, les voyant, à l’occasion, disparaître; un
Grand Héron se retrouve sur le site, ajoutant la seule note
encourageante pour la variété de la faune ailée.
Un vent du nord, de plus en plus véloce, semble
accélérer la sortie des morceaux de glace du casse-tête
naturel géant de la « petite baie » et les
différents motifs d’eau gelée sortent un à un,
à la queue leu leu, en empruntant le lac
Saint-Pierre et passant devant mes yeux, toujours aux aguets; malgré le
peu de nouveauté aviaire, la situation est des plus agréables. Tout
en essayant d’identifier chacun des goélands sur les pièces
du puzzle à la dérive, une belle surprise m’attend.
En effet, sur une de ces pièces glacées, un imperturbable
Harfang des neiges côtoie quelques goélands et semble
énormément aimer ce moyen de transport, à la fois inusité
et reposant; c’est une première pour moi comme spectacle
d’observation et je me compte chanceux de vivre ce privilège.
Après avoir suivi la descente vers l’est de cet harfang pendant
quelques minutes, je reprends mes investigations en tournant mes jumelles vers
l’ouest et à mon grand bonheur, un important morceau de glace,
à peine rendu dans le lac, voit deux autres Harfangs des neiges imiter
le premier confrère et se servir de son espace d’eau
solidifiée par le froid, mais lequel est voué à
disparaître au fil des jours, de plus en plus chauds.
Ces deux harfangs ont eux aussi adopté cette manière de
voyager, en première glace s’il vous plaît! Que vont-ils
faire lorsque cette glace va être complètement fondue?
Sûrement voler sur les ailes
« air harfang des neiges » s’ils veulent se
rendre à destination, soit dans le Grand Nord. En attendant, ils
profitent entièrement de cette carte privilège, tout comme moi,
même si je n’ai pas le même siège, pouvant quand
même suivre leur périple printanier durant quelques
instants avec mes deux pieds sur du solide: je ne peux demander
mieux!