LES AIGUISEURS D’OUTILS

Avant les années 1960, le Québec, étant moins industrialisé qu’aujourd’hui, devait compter sur des gens très débrouillards et souvent inventifs dans leurs moyens utilisés afin de vivre avec le minimum de décence, d’autant plus que le milieu rural dominait à cette époque; la Mauricie ne faisait pas exception à cette règle.

Un des métiers manuels le plus couramment pratiqué correspondait à celui de rémouleur, soit l’aiguiseur d’outils et d’instruments tranchants. Dans les villes, dont Trois-Rivières, un de ces rémouleurs passait régulièrement dans son quartier pour aiguiser les faux, les faucilles, les haches, les couteaux et tous les autres instruments coupants servant aux travaux aratoires, de la voirie et ménagers; dans les paroisses rurales, ce rémouleur espaçait ses visites pour effectuer ces mêmes tâches dans l’acérage, ce qui explique la dextérité de plusieurs fermiers du temps à se débrouiller eux-mêmes pour l’affûtage de leurs outils et de leurs instruments aratoires.

La lime d’acier, la pierre rude et la pierre douce à aiguiser, la meule ronde montée sur un axe de bois ou de métal (arbre) et tournée par une manivelle, et même des cailloux du chemin à la texture appropriée pour certains outils tranchants correspondaient aux matériaux utilisés par les aiguiseurs de cette époque.

Dans les années 1950 à 1970, mon père (Napoléon « Ti-Paul » Bourassa) avait ajouté ce travail afin de faire vivre la famille et sa clientèle la plus fidèle était composée de menuisiers, d’ébénistes, de bûcherons, de couturières et de pêcheurs commerciaux. Les principaux outils aiguisés étaient des couteaux, des ciseaux, des passe-partout, des scies rondes, des sciottes, des godendards, des scies à glace et sa spécialité, des égoïnes; en plus d’aiguiser, il redressait les dents des scies avec une paire de pinces à ressort à avoyer, travail très délicat dans lequel il excellait. Ainsi, il donnait « du chemin » aux égoïnes, c’est-à-dire un angle particulier aux dents de chacune d’elles, adaptée au scieur et permettant à l’outil de mieux entrer dans le bois.

Ne possédant pas le talent du paternel, le seul aiguisage que je me suis permis d’exécuter est celui des patins à glace dans les années 1970 à 1980, au collège Sainte-Anne de Yamachiche et au pavillon des loisirs du même endroit; j’aurais pu me passer de cette tâche, car c’en était vraiment une pour moi. Finalement, chaque industrie où des instruments tranchants étaient requis, possédait son propre rémouleur; aujourd’hui, ce métier existe encore, mais la mécanisation fait presque tout le travail au lieu que celui-ci soit fait uniquement à la main, comme dans le passé.