UN INTRUS À L’ÉCART

` À la onzième heure du 6 août 2003, les Cormorans à aigrettes se déplacent de temps à autre de la « petite baie » Yamachiche vers les eaux plus profondes du lac St-Pierre et vice versa; ça se passe sous un soleil de plomb dans un ciel clair. Après quelques va-et-vient peu productifs dans leur recherche de nourriture, les cormorans changent leur stratégie et décident de prendre le large dans un long défilé rappelant mon chapelet de jeunesse, lequel avait des grains noirs dont chaque dizaine de ceux-ci était séparé par un autre semblable, mais plus gros; ce souvenir me fait penser que peut-être un Grand Cormoran est dans cette lignée d’oiseaux aquatiques, puisqu’il est lui aussi plus gros, et je commence à les examiner dans mon fantasme; c’est réellement un fantasme, même s’il n’y a rien d’impossible et comme dans mon enfance, je prie presque pour que ça se réalise!

Quelques secondes seulement après avoir terminé l’opération de cette recherche utopique, j’oriente les jumelles vers le centre du lac sur mon point de repère habituel, soit une large et dense plaque d’algues marines; à cet instant, un cormoran solitaire occupe les lieux et semble avoir de la difficulté à avaler le poisson capturé mais, il ne fait aucun effort dans ce sens : alors, je m’attarde sur son cas car sa prise n’est pas encore rendu dans son estomac et elle semble être bloquée dans le cou.

Soudain, il plonge son bec (lequel paraît plus long et surtout plus effilé) dans l’eau et dans les algues pour le sortir aussitôt avec un poisson harponné au bout de celui-ci, et l’étonnement arrive en me rendant compte que ce cormoran a un cou plus long que ses confrères et que ce dernier est plus gros qu’à l’habitude et en plus, il est en forme de S. Assurément, ce n’est pas un Cormoran à aigrettes et je réalise soudainement que je suis en présence d’un Anhinga d’Amérique, whaw!, je suis aux oiseaux!

Même s’il est un peu éloigné, il révèle encore plus son identité lorsqu’il protège sa capture en repoussant deux Goélands à bec cerclé, car cet anhinga ouvre ses ailes blanches, laquelle blancheur se prolonge à son dos maculé; il dévoile aussi sa queue qui est plus longue que celle du Cormoran à aigrettes. De plus, ce spécialiste de la nage en surface laisse voir ses fines plumes pâles du haut du cou : il est magnifique! Le moment présent est réellement un présent.

Malheureusement, peu d’observateurs ont cru à cette observation exceptionnelle mais pourtant, en juin, un ornithologue amateur (probablement trop amateur pour certains) de la région de Québec a trouvé, lui aussi, un tel spécimen sur le fleuve St-Laurent; il a subi le même sort que le mien, soit le déni. Une chose est certaine cependant, il est assez difficile d’inventer l’existence d’une espèce lorsque l’on ne l’a pas devant les yeux et le contraire est aussi vrai, car l’on ne peut pas nier la présence d’un spécimen exceptionnel lorsque ce dernier est devant nous : il y a toujours bien des maudites limites! Excusez cette courte montée de lait, un peu beaucoup compréhensible.