LA POULETTE BLANCHE

 

             Le récit véridique qui va vous être raconté est tellement riche en rebondissement qu’il aurait pu être transformé en conte, tellement il est difficile d’imaginer un dénouement heureux devant les invraisemblances et les difficultés rencontrées au fil des jours par l’héroïne et ce, malgré elle.

             L’aventure débuta entre le 15 et 20 décembre 2007, après un début de mois très neigeux, suivi d’une période de pluie faisant augmenter le volume des eaux de la Petite rivière Yamachiche; à cette période, trois poulettes s’échappèrent d’un poulailler situé à moins de cent mètres de la rivière et elles ont été aperçues pour la première fois sur le pont enjambant ce cours d’eau et conduisant tout près, au carrefour de mon secteur. Très tôt, le lendemain matin, un promeneur a assisté à une scène assez triste en voyant deux des trois jeunes poules (de race leghorn) s’envoler pour tenter traverser la rivière mais, dans leur élan mal calculé, elles se sont noyées en tombant dans les eaux glacées; quant à l’autre poulette blanche, elle avait sagement traversé le pont en marchant.

                 Pour ce volatile, les ennuis ne faisaient que commencer, soit, premièrement, trouver la façon de se nourrir et ensuite, passer au travers des aléas de l’hiver (froid, neige, vent, poudrerie et le reste). Il faut préciser que cette poulette d’élevage n’était pas destinée à terminer sa vie dans notre assiette en poitrine ou en cuisses de poulet  comme la majorité des volailles , mais plutôt à remplir un rôle social très important, soit à pondre des œufs, lesquels œufs auraient servi à incuber des vaccins prévenant la grippe aviaire. Par contre, malgré cette mission ratée, notre jeune oiseau de basse-cour va vivre un autre destin.

               En effet, après la mésaventure mortelle de ses compagnes, elle se dirigea à une des maisons, à proximité du carrefour, où elle trouva immédiatement de la bouffe en s’alimentant en-dessous des mangeoires d’oiseaux tout en trouvant des abris de fortune, soit des thuyas fournis, un dessous de galerie et même une épinette géante (laquelle lui servait aussi de perchoir); c’est justement juchée sur la première branche de cet arbre qu’elle s’est faite repérer le 20 décembre. Elle a dû, dès les premiers jours, faire face à des tempêtes de neige répétées de quinze à vingt centimètres chacune et à chaque occasion, je croyais sincèrement qu’elle ne s’en sortirait pas vivante; mais, après une journée ou deux d’absence, elle réapparaissait comme par enchantement. Si les chats ont neuf vies, combien cette poule en devenir pouvait-elle en avoir?

              Cette poulette blanche a été surnommée Doris par les habitants des lieux et a fait énormément jasé dans le quartier et au restaurant «Chez Maurice», et le suivi de ses prouesses était fait quotidiennement. Dans ses exploits, elle grimpait notamment dans le faîte d’un des thuyas (cèdre) et sur le toit de la maison, car elle avait une facilité étonnante pour voler; avec sa magnifique livrée blanche et  une queue pointue la rendant gracieuse, elle se promenait entre les chats de la propriétaire de la maison et les oiseaux présents sous les postes d’alimentation, se sentant rapidement faire parti de la famille, à part entière.

              Aux jours maigres en nourriture, Doris allongeait graduellement ses promenades en s’aventurant dans la rue, en face d’un voisin qui, régulièrement , transportait dans sa pelle de tracteur, de la paille pour les animaux, laquelle paille, parfois, tombait de la pelle en petite quantité, ce qui suffisait pour attirer cette petite débrouillarde; elle prenait de longues siestes sur une des branches de son épinette favorite, après avoir picoré. Ce qui est certain, c’est le nombre étonnant de personnes qui se sont intéressées à son cas, allant jusqu’à l’intervention directe d’un jeune étudiant de l’école Omer Jules-Desaulniers, lequel a presque sommé un des employés de la municipalité de Yamachiche de s’en occuper pour la sauver; à ce moment, l’hiver achevait et notre courageuse Doris avait quasi miraculeusement passé au travers de tous les dangers, y compris les autos et les animaux sauvages prédateurs.

              Lorsque la neige fut complètement disparue, le gallinacé a considérablement agrandi son territoire et pour récompenser la propriétaire, il allait régulièrement pondre un œuf sur le perron arrière ou tout près; Doris était devenue en âge de produire.

              Dans notre enfance, pour endormir les plus jeunes, notre mère fredonnait cette berceuse : la poulette grise est dans la remise, la poulette noire est dans l’armoire, la poulette blanche est dans la grange; dorénavant, il faudrait peut-être ajouter : la poulette blanche est sur la branche!

              Doris a passé l’été 2008 sur son lieu d’adoption et a même tenté de couver ses œufs en se camouflant sous un cèdre et en se montrant en de très rares occasions. Nul doute qu’elle a été privilégiée de se retrouver dans cet environnement idéal. Aux dernières nouvelles, elle se promenait paisiblement dans la cour de sa famille d’accueil.