Conte fantastique
MAJOR
ET DOUCETTE
Texte
de
Dans l’Est québécois, au tout début de l’arrivée des premiers
habitants d’outre-mer, quelques petites colonies s’établissaient peu à
peu le long du fleuve Saint-Laurent et certaines familles, plus
audacieuses, osaient avancer vers le nord, toujours à proximité d’un
cours d’eau et souvent dans une plaine peu peuplée d’arbres, ce afin de
faciliter la culture. Un certain été, une de ces colonies osa se rendre
dans cette nordicité estrienne tout en demeurant à la portée du village
le plus près afin d’avoir des contacts réguliers avec la civilisation.
Au premier soir de leur arrivée, le ciel avait revêtu ses plus beaux
atours pour les accueillir avec son impressionnante Lune blanche qui
trônait au centre de son vaste espace, ladite planète étant accompagnée
d’une multitude d’étoiles scintillantes à la lumière semblant être
directement sortie d’un conte de fées. Ce groupe
de colons se composait de quarante-et-un individus, composé de huit
couples mariés, de quatorze enfants, de six grands-parents, de quatre
célibataires (deux femmes et deux hommes) et d’un homme solitaire dans
la cinquantaine prénommé Major qui décida de les suivre afin de
s’établir dans leur communauté. Major fut rapidement accepté par ces
gens, car il avait l’expérience des grands espaces, tant pour la chasse,
la pêche ou l’orientation en forêt, entre autres. Il pouvait aussi
fabriquer certains outils de base pour travailler la terre ou pour les
utilités quotidiennes. Cette petite agglomération avait choisi un site
merveilleux pour la construction des maisons, soit une spacieuse vallée
assez plane où les arbres brillaient par leur absence sur une grande
partie de sa surface. De plus, une montagne, fournie de conifères et de
quelques feuillus s’y perdant, encerclait ce lieu paradisiaque, les
protégeant des éventuels forts vents tout en atténuant tous les
possibles intempéries ou autres manifestations naturelles du genre.
Peu après l’établissement de cette colonie de gens, ceux-ci se sont choisis un nom temporaire pour ce territoire enclavé et le baptisa Vallée-des-Aurores, en l’honneur des nombreuses aurores boréales occupant leur firmament lors de certaines périodes nocturnes de l’année. La découverte de ces aurores qui sortent directement de l’effet du soleil sur les particules se promenant dans l’air et se déplaçant par les vents véloces permet encore aujourd’hui d’admirer ces étranges créatures célestes dans des coloris fantastiques de vert et de rouge occasionnés par lesdites particules contenant de l’oxigène et d’autres fabriqués par des particules d’azote dans le bleu, le rouge et le violet; certaines de ces aurores, nommées aurores polaires au Pôle Nord, se voient parfois attribuer d’un jaune éclatant à la tombée du jour, soit au coucher du soleil, pour ainsi voir cette couleur se joindre à la danse aérienne des êtres féériques qui fêtent pendant la période nocturne de certains jours. Se pourrait-il que ce soit les couleurs de l’arc-en-ciel qui, tellement ordonnées habituellement, décident de s’amuser les unes et les autres dans des arabesques des plus agréables pour l’œil à chacune des valses improvisées dans leurs chorégraphies époustouflantes relevant de la magie?
Le
quinquagénaire Major, un peu retiré de la communauté, s’était établi à
mi-chemin entre la montagne et ces gens, ce afin de demeurer lui-même,
soit une âme solitaire. Au fil des jours, il apprivoisait les animaux de
son environnement faunique tout en communiquant régulièrement avec les
individus de son clan. Les animaux qui le côtoyaient se composaient,
entre autres, d’un couple d’ours noirs, lequel avait été aperçu la
première fois en pleine saison estivale, se nourrissant de petits fruits
à la base de la montagne; dès la venue des jours plus courts devenant de
plus en plus froids, ces bêtes à la fourrure noirâtre disparurent afin
d’hiberner. Les
villageois de Vallée-des-Aurores passèrent un hiver des plus rigoureux,
oeuvrant dans la nature pour le strict nécessaire, dans l’interminable
attente d’un printemps retardataire. Lors de chacune des sorties de leur
petite maison en bois rond dans ce froid tellement intense, les paroles
de leurs échanges verbaux gelaient instantanément et étaient
transportées vers le sapinage du bas de la montagne pour aller se poser
en gouttelettes de givre sur les rameaux de l’un des arbres, ce
jusqu’aux premières journées ensoleillées du printemps. Dès ces moments
plus cléments tant attendus, la rumeur dit que des mots se faisaient
ouïr dans l’entourage, tant par les animaux que les humains, et qu’au
fur et à mesure que la chaleur s’accentuait et changeait le givre en
vapeur d’eau, il était possible d’entendre une courte phrase d’un
citoyen : embarrassant comme situation!? À tout
événement, Major ne cessait de travailler à rendre la vie plus facile à
sa communauté par la fabrication de divers outils et autres objets
utiles et il profitait de chaque rayon projeté sur la partie supérieur
de son corps par un astre du jour de plus en plus efficace au fil des
semaines; son torse à la peau foncée, en plus de se dorer, possédait un
système pileux de couleur jais très abondant, lui donnant un air animal
avec son visage aux traits bourrus, étant seulement une impression et
non le cas. Cet air va l’avantager sans qu’il le sache encore. Major
aimait faire de petites marches vers la montagne et explorer les
sentiers possibles pour mieux connaître son environnement et ainsi,
peut-être découvrir des éléments dans cette nature sauvage pouvant être
utiles à tous, comme des ruisseaux à poissons, des espèces de fruits et
des essences de bois intéressantes, entre autres. Lors de
l’une de ces randonnées improvisées, il fit la découverte d’un étroit
passage situé dans une fissure de la base de cette immense masse
rocheuse, lequel passage était dissimulé derrière une grosse roche
laissant un espace d’à peine trois pieds pour s’y glisser, ledit espace
souvent obstrué par diverses plantes sauvages. Mais des pistes d’animaux
aidèrent à repérer cet endroit avec quelques herbes piétinées et Major
réussit à entrer dans cette ouverture, avec toutes la prudence requise,
ne sachant à quoi s’attendre à chaque pas de son avancé. Rendu à
quelques 20 pieds à l’intérieur de ce semblant de grotte, il aperçut la
paroi de la montagne et des restes de différentes nourritures au sol,
mais rien d’autres, se doutant toutefois que cette cavité était habitée;
il en ressortit donc sous cette impression. Quelques
jours après cette promenade, Major aperçut la femelle ours avec un
ourson, mais pas de père! Plus les jours passaient, plus les deux
animaux s’habituaient à la présence de notre homme à tout-faire et s’y
rapprochaient de plus en plus. De son côté, Major, remarquant ce
semblant d’apprivoisement de leur part, fit de même en des
rapprochements des plus lents, délicats et si l’on peut dire,
hypocrites, pour se retrouver parmi eux! Ce compagnonnage toléré dans
les débuts devenait de plus en plus un rituel nécessaire, d’autant plus
que Major y contribuait largement en apportant de la bouffe aux ours,
surtout pour le jeune, lequel semblait avoir perdu définitivement son
père; la mère ours sentit cet attachement pour son rejeton et
manifestait sa reconnaissance par des grognements affectueux dirigés
vers notre ami. En retour, Major adoptait les mêmes mouvements de
lenteur dans ses déplacements et les mêmes grommellements généralement
remplis de douceur dans la communication. Le petit, lequel hérita du nom
de Noiraud (dû à la couleur de son pelage), en était devenu à se laisser
flatter par Major, ce sans la moindre opposition de sa mère, laquelle,
éventuellement, fut appelé Doucette (dû à sa douceur toute naturelle
qu’elle dégageait).
Par une
matinée nuageuse de ce même été, l’instinct maternel de Doucette la
poussa à guider Major vers un chemin étroit à la première strate de la
montagne, lequel chemin il fallait monter et se trouvait caché par des
arbres. Tout en avançant le long de la paroi, un plateau d’une quinzaine
de pieds débuta à révéler sa présence pour enfin montrer toute la
splendeur de ce site lorsque rendu sur la surface par le panorama offert
aux yeux de Major, lesquels pouvaient admirer la spacieuse vallée qu’il
habitait. Accompagné de Doucette et Noiraud, Major se réjouissait de les
avoir suivis, ignorant totalement ces lieux paradisiaques; mais notre
ami va rapidement revenir sur Terre lorsque Doucette le regarda et
poursuivit sa route un peu plus loin et plus haut encore pour le mettre
devant un fait qu’il n’oubliera pas de sitôt! En effet,
après quelques pas vers l’avant,
soit vers la paroi où se trouvait une fissure entre celle-ci et le
plateau, Noiraud regarda en bas, suivi par Doucette et Major, pour
constater avec stupeur que le corps en début de décomposition d’un ours
(sûrement le mâle et père de Noiraud) y était coincé, tombé dans une
fausse manœuvre, une bataille ou pour toute autre raison. Notre homme à
tout faire, travaillant ce matin-là à couper des arbres pour usages
multiples, baissa la tête tout en regardant sereinement Doucette, en
signe de compréhension devant la perte de son partenaire et aussi, en
signe de remerciement pour la confiance qu’elle manifesta à son égard en
partageant ces lieux et son secret. Dans les jours suivants, Doucette va
amener Major dans la petite caverne qu’il découvrit par hasard un peu
plus tôt, sans toutefois le faire paraître. Dorénavant, notre ami
visitera à plusieurs reprises ce repaire des plus sécuritaires pour ces
ours et « veillera » en quelque sorte avec et sur eux. L’été
terminé, les jours raccourcissaient pour se rendre à l’évidence que la
saison de l’automne achevait à son tour, obligeant Major et les deux
ours à se préparer adéquatement, chacun de leur côté, afin de traverser
un autre hiver, soit la période la plus difficile de l’année. Malgré la
même routine qui régnait dans la population de Vallée-des-Aurores,
parfois une famille ou un individu augmentait le nombre de cette
communauté quelque peu isolée. Justement, un homme dans la quarantaine
du nom de Paul Moreau, arrivé depuis quelques semaines seulement, mais
bien intégré, s’était rapidement lié d’amitié avec Major, malgré son
arrivée récente, ayant en commun le célibat, entre autres. De jours en
jours, toujours de plus en plus courts, Doucette et Noiraud, nos ours,
se préparaient lentement de leur côté pour le grand sommeil hivernal en
se gavant continuellement de touts les fruits se trouvant à portée de
patte. Major,
ayant appris à comprendre les constellations et à découvrir où la Grande
Ourse et la Petite Ourse se trouvaient dans l’univers sidéral dans toute
cette kyrielle d’étoiles qui paraissaient lors des belles soirées au
ciel dégagé, s’assoyait régulièrement sur un banc artisanal et admirait
à chaque occasion ces merveilles naturelles, sans se lasser, tout en
pensant, parfois, à ses deux amis animaux. Un bon
matin où le soleil accordait les faveurs de sa chaleur pour une des
dernières fois de la saison, Major en profita pour terminer certains
petits travaux autour de son petit domaine, voyant par la même occasion
Noiraud, pas très loin de lui, et Doucette, un peu plus à l’arrière, se
gaver des dernières traces de nourriture se présentant à eux, ce avant
de se retirer pour le grand sommeil. Noiraud approcha de Major et dans
un genre de cérémonial d’adieu avant ce dit retrait hivernal, il
commença à s’amuser avec son copain et à le frapper amicalement sur les
épaules et dans le dos tout en se roulant tous les
deux par terre. À ce moment, Moreau surgit et en voyant cette
scène, se précipita sur
Noiraud pour le poignarder directement au cœur avec le couteau qu’il
venait porter à Major, ce pour l’aiguiser, donnant le résultat de voir
le jeune ours, devenu presque adulte, s’affaisser sur le sol et se vider
de son sang dans des gémissements de plus en plus faibles pour se
terminer par la mort. Major,
encore debout et immobile dans un état de choc, constata cette triste
réalité avec Moreau, ce dernier ne sachant pas la relation d’amitié
entre l’ours et Major, croyant à une agression. De loin, Doucette
visionna cette horreur concernant la fin tragique de son jeune Noiraud
et approcha lentement dans des sentiments de méfiance mêlés
d’incompréhension tout en interrogeant des yeux les deux hommes sur le
pourquoi de cette mort. Tout en hochant et dodelinant constamment de la
tête, elle tournait autour de Noiraud, le léchant à l’occasion, pour se
résigner à le quitter, ce toujours avec Major et Moreau tout près.
Doucette, d’une nature calme, regarda les hommes
et s’éloigna en silence avec sa douleur vers la montagne pour y
disparaître. À partir de
cet instant, Major ne revit plus Doucette dans les parages, celle-ci
ayant probablement perdu confiance en la bonté des humains, et notre ami
passa plusieurs soirées à se remémorer les nombreux bons souvenirs en
présence de nos deux ours par la contemplation des constellations, soit
la Petite Ourse et la Grande Ourse en particulier. Depuis ce temps, les
ours et les humains évitent
de se rencontrer, la méfiance étant de mise les uns envers les autres.
Est-ce que
Doucette a eu son mot à dire?
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